Tomorrowland se moque de son échec pour la promo du Blu-ray
Disney

Il a essayé. Et s’est planté – au box office. Le film de Brad Bird, gros échec de la saison des blockbusters, mérite d’avoir une deuxième vie en DVD. Rencontre avec un cinéaste philosophe.

Après Mission Impossible Protocole Fantôme, A la poursuite de demain est le deuxième film live du génie Brad Bird (Ratatouille et Les Indestructibles), l’histoire d’une jeune fille rebelle de Floride recrutée par une mystérieuse jeune femme pour ramener un inventeur vieillissant vers un monde utopique et idéal.

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Grand huit électrisant qui multiplie les allers-retours entre le passé et le présent, l’utopie et le monde réel, A La poursuite de demain est d’abord une déclaration d’intention (de guerre) philosophique et esthétique. Philosophique parce que sous les dehors d’un road movie, le film, empreint d’une idéologie libertarienne, prétend déciller le regard de son spectateur (comme Platon qui aurait voulu faire sortir les prisonniers de la caverne) et lui demande de regarder le futur de manière plus lucide, plus enthousiaste, plus libre. Esthétique, parce que dans une industrie du rêve où les films – suite, remake, reboot - sont conçus selon des plans quinquennaux, où l’on ne raisonne plus en fonction d’une histoire mais d’une property ; parce qu’au sein même d’un studio qui rationalise et détient le monopole de tout l’imaginaire merveilleux (des Comics à Star Wars), un film comme ça est un acte de subversion. Sa lisibilité, sa mise en scène hyper précise, découpée, inventive (la fuite de la maison !), ses citations (Capra et Amblin) en font une œuvre hors-norme.  Evidemment – oui : EVIDEMMENT –A la poursuite de demain a été un échec. Mais la sortie DVD nous donne une bonne occasion de revenir sur ce film fascinant.

Brad, le message Tomorrowland c’est que l’optimisme est un acte de subversion. Si on vous prend au mot, l’échec du film était logique, non ? Je ne peux pas analyser le succès ou l’échec d’un film. En tout cas, pas en fonction du box office de la semaine. Avec Tomorrowland, j’ai essayé de faire quelque chose de différent et on nous a laissé la liberté de le faire. En soit, c’est déjà un succès ! Il se trouve que la plupart des films que j’aime ont été des échecs au moment de leur sortie salle ; certains de mes Disney préférés comme Pinocchio, ou Le Magicien d’Oz et plus récemment The Big Lebowski. Même mon propre film Le Géant de fer

Mais vous avez bien une idée des raisons qui ont poussé les gens à refuser d’aller voir Tomorrowland ? Le marketing ? le message ?... Je ne sais pas pourquoi certains spectateurs connectent avec les films et d’autres non. Mais je sais une chose : on m’a reproché, à travers Tomorrowland, de critiquer les films d’apocalypse. Pire : on aurait critiqué ceux qui aiment les films d’apocalypse. Et des spectateurs l’ont pris personnellement, comme si on essayait de les humilier. Ca, franchement, je ne l’ai pas compris. J’adore les films d’apocalypse, j’adore T2 ou la série des Mad Max. Vraiment ! Que certains aient pu penser qu’on ironisait là-dessus, ça me dépasse. On avait un seul message : le futur est un endroit merveilleux pour développer une histoire. Il se trouve que la vision apocalyptique du futur est devenue aujourd’hui LA vision prédominante. C’est la seule manière dont on envisage le futur. Tomorrowland entendait prendre le contrepied de cette représentation, montrer l’avenir sous des aspects plus conte de fée. Plus optimiste. Certains n’ont pas aimé la manière dont on explorait ça.

Vous êtes amers ? Je ne sais pas. Quoiqu’il en soit, on a réussi notre pari : qu’ils aiment ou qu’ils détestent Tomorrowland, les gens ont une opinion tranchée à propos de ce film. A une époque où la plupart des blockbusters finissent au milieu de la route, à une époque où l’on entend trop souvent en sortant de salle « ouais, le film était ok », je suis content que Tomorrowland ait provoqué des réactions fortes, positives et négatives. Ca veut dire qu’on a réussi à impliquer les spectateurs.

Mais les réactions négatives doivent vous rendre tristes ? La seule critique valable, c’est le temps. Dans 10 ans, quand le film n’aura plus à subir les attentes démesurées des gens, quand il ne paiera plus les dommages collatéraux du marketing - j’ai par exemple entendu que le film aurait dû se passer entièrement dans Tomorrowland -, on verra ce que les gens pensent VRAIMENT du film. Il existera en tant qu’histoire, à côté d’autres histoires.

En France, beaucoup ont été irrités par ce qu’ils ont vu comme une propagande pro-Disney. Wow ! C’est… Wow ! Wow ! Je ne sais pas trop quoi vous dire. C’est bizarre. Disney, ce sont mes racines. Mais quand je dis Disney, je pense à Walt Disney. Celui pour qui le futur était un défi. Ce n’est pas quelque chose dont on doit avoir peur, qui doit nous paralyser. Il y a 50 ans, quand Walt était en vie, il y avait les mêmes problèmes. Il y avait le même racisme – sans doute pire -, c’était la guerre froide, le Vietnam, le temps des assassinats politiques. Le monde n’était pas meilleur, mais il y avait une vision collective de l’avenir plus radieuse. Et il y avait une énergie qui poussait l’humanité en avant. Et puis, brusquement, tout a changé. Un truc s’est cassé. Aujourd’hui si vous parlez du futur la seule façon d’être pris au sérieux c’est de parler d’un avenir où les ressources se tariraient, où la planète exploserait, une dystopie. Mais ce futur de Cassandre m’angoisse parce qu’il dit clairement que les gens pensent ne plus avoir aucun pouvoir. Ils refusent de penser qu’ils peuvent façonner leur futur, notre futur. Pour revenir à votre question, Tomorrowland est un film Disney dans le sens où Walt envisageait l’avenir. L’optimisme, son excitation et sa capacité d’invention ! C’est le Disney d’Epcot, sa cité radieuse, l’un de ses derniers rêves qu’il n’a jamais pu réaliser. Epcot a occupé son imagination pendant des années. C’était un laboratoire d’idées. Je… Je ne comprends pas les critiques dont vous parlez.

 Vous ne pouvez pas ignorer le fait que Tomorrowland est une attraction de parcs à thèmes… Attendez ! Je ne fais pas de placement de produits. Et Tomorrowland n’est pas une attraction, c’est un lieu, un ensemble où il y a plein de choses. C’est même plus que ça, à l’origine, c’est un état d’esprit, une vision positive et lumineuse. Même si le film n’est pas non plus béat. Il montre que la route vers ce futur peut être sombre et qu’on doit avancer à travers les ténèbres pour atteindre ce futur. Disney ? Vraiment ? Hmmmmm.

Walt Disney, mais lucide, ou plus sombre alors ? C’est amusant parce que j’ai beaucoup pensé à Amblin devant Tomorrowland. Notamment pendant la scène du bazar…Vous venez de prononcer un mot magique. J’adore Amblin ! Mes trois premiers crédits au cinéma l’ont été sur des films Amblin. Je suis crédité comme coscénariste sur Battery not included, même s’il ne reste pas grand chose de ma collaboration dans le film terminé. J’ai également fait deux Amazing stories ;  une que j’ai écrit et storyboardé et une autre que j’ai scénarisé et réalisé. Steven, Kathy et Frank m’ont donné cette opportunité. J’adore les films Amblin. J’ai récemment pensé à Colin Trevorrow qui a fait Jurassic World. Il a réalisé Safety not guaranteed avant, qui fonctionnait sur les ressorts des films Amblin. Ca dit à quel point l’empreinte de ce studio reste forte sur le cinéma contemporain. Je crois que ce que je retire de leur cinéma et de mon expérience là-bas, c’est cette volonté d’aller au cœur des ténèbres tout en le faisant de manière très légère. L’idée qu’il ne peut pas y avoir que du soleil et de la lumière – ce ne serait pas crédible. Que l’on doit forcément montrer l’envers de cet horizon optimiste. Une forme de… lucidité. C’est comme un Capra. Comme La Vie est belle au fond. Jusqu’au dernier moment du film, c’est désespérant, très très triste et très très sombre. Mais la fin joyeuse permet de tout relire.

Votre vision du futur (optimiste et ouvert) et du cinéma (le refus de la suite, du formatage) semble finalement très minoritaire. Cet échec montre-t-il que vous avez perdu la bataille ou que tout reste à construire ?J’aurais aimé que le film marche mieux. Pour Disney, mais aussi pour les autres studios. Pour qu’Hollywood se mette à investir dans de nouvelles idées. On vit une époque où si un metteur en scène veut réfléchir large, travailler sur de grand canevas et à grande échelle, il y a 50 ou 60 histoires approuvées qu’il pourra raconter. Des histoires greenlightées parce que facile à marketer. Cela dit, sur les suites, je serai beaucoup moins tranché que vous. La plupart des films qui sont dans mon panthéon sont des suites. J’en ai fait moi-même. Et j’en fais une au moment où je vous parle. C’est bien les suites, les idées originales aussi. Quand on essaie de faire quelque chose d’innovant, il y a une part de risque. Star Wars en 77 était un risque. Ca a demandé une somme de visions, de talents et de courage à mettre en œuvre astronomiques. Comme ET, comme Indiana Jones. Tous ces films qui sont aujourd’hui des classiques et des modèles furent d’abord considérés comme des idées complètement folles. Je suis très reconnaissant aux patrons de Disney qui nous ont accompagnés, qui ont accepté notre idée parce qu’aujourd’hui elle existe, elle est réelle.

Dans le film vous proposez une métaphore, celle des loups qu’on nourrit. On peut choisir de nourrir le loup de la rage, de la colère ou celui de l’espoir. Finalement, quel loup choisissez-vous de nourrir après avoir essuyé cet échec ?Ahahaha. Le film n’a pas marché parce que les gens attendaient autre chose. Mais je continuerai à nourrir le « bon » loup : l’espoir. Le jour où on aura réussi à décorréler le film des attentes des gens, à faire comprendre aux spectateurs que Tomorrowland est en fait un road movie (et pas, comme ils l’imaginaient, un film qui se passe à Tomorrowland), alors on verra vraiment ce que vaut le film. On n’a jamais essayé de faire croire que le film se passait entièrement à Tomorrowland. Mais, dans une première phase, le marketing a choisi de mettre en avant les plans de Tomorrowland parce que ça permettait de se différencier des autres films. Ca donnait surtout l’impression que le film se passait là-bas, alors que le film raconte le voyage vers Tomorrowland. Par ailleurs on est sorti pendant un été très agressif, où tous nos concurrents étaient des « properties » dont tout le monde connaissait l’ADN. C’était un gros avantage. Mais dans 10 ou 20 ans, ce film sera un nouveau livre sur l’étagère. Il n’y aura plus d’attentes inconsidérées. Et on regardera juste l’histoire. On verra que c’est un film unique, risqué. Et on verra surtout ce que les gens en pensent. J’ai eu le même genre d’expérience, très dure, après la sortie du Géant de fer. Personne ne l’avait vu. Et aujourd’hui, c’est considéré comme un film culte. C’est ce que je disais : la seule critique qui compte c’est le temps. Je croise des gens qui me disent qu’ils n’ont pas vu Tomorrowland en salles, mais qui le découvrent dans l’avion ou ailleurs et qui l’aiment et qui le recommandent. C’est ce genre de situation que j’attendais. Les gens découvrent un film, une histoire et pas « le nouveau blockbuster dans le cinéma près de chez toi ». J’aurais évidemment préféré que les gens le découvrent en salle, mais quelque soit la manière dont ça se passe, je veux surtout que les gens le voient.

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