Universal Pictures International France

Un drap, deux trous pour les yeux et le tour est joué : avec son film de fantôme minimaliste, David Lowery a mis tout le monde d’accord.

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Au fil du temps, les fantômes ont été des ectoplasmes, des Japonaises les cheveux dans les yeux, des enfants qui saignent, des courants d’air glacé, des cadavres blafards, des concubines chinoises, des bruits dans le grenier, des chewing-gums verts, ils ont ressemblé à Rex Harrison, à Patrick Swayze ou à Bruce Willis, mais rien n’y a fait et ce film est là pour le réaffirmer : le fantôme, le vrai, celui que les enfants dessinent dans leurs cahiers et auxquels ils jouent dans la maison de campagne de leur grand-mère, c’est le gars avec un drap sur la tête et les deux trous à la place des yeux – histoire d’éviter de se casser la figure dans les escaliers.

Idées folles
Tourné en douce malgré son couple de stars, entre deux projets plus imposants (le remake live de Peter et Elliott le dragon et le polar The Old Man and the Gun avec Robert Redford et encore Casey Affleck, annoncé pour 2018), cette « histoire de fantôme » lo-fi s’inscrit dans cette nouvelle vogue « indéricaine » qui sait s’affranchir de certaines obligations industrielles grâce à la promesse de nouvelles cases de diffusions. En gros, on tourne d’abord, il sera bien temps de réfléchir ensuite si l’on doit se contenter de faire les marioles en festival (ici, Sundance et Deauville), puis en VOD, ou si un studio (ici, Universal) voudra bien casser sa tirelire.
Puisque la distribution et le financement ne sont plus un souci, tout devient permis sur le plan artistique, y compris des choix peu raisonnables (un acteur oscarisé, oui, mais sous un drap !), des envolées assez vertigineuses (la fin du monde et son recommencement), des idées quasi expérimentales dignes de Spike Jonze (le dialogue muet sous-titré), des complaisances invraisemblables (treize minutes des élucubrations d’un hillbilly philosophe – et très bourré – joué par le folk-rockeur Will Oldham) ou des quiches à la mozzarella mangées de la première à la dernière bouchée (encore treize minutes), comme dans un Chantal Ackerman des années 70.
Voilà qui fait beaucoup de défauts (et beaucoup de plans-séquences de treize minutes) pour un film du mois Première à quatre étoiles ? Voilà surtout qui en fait un cas d’école passionnant placé pile sur la frontière entre liberté et indulgence, entre ce qui relève d’un geste d’artiste suprême et ce qui découle d’un surmoi théorique à l’européenne, mal digéré par d’anciens étudiants en cinéma américain. A Ghost Story alterne comme peu de films récents (mais comme de plus en plus de films récents, tels It Comes at Night, Under the Skin, The Witch ou It Follows) entre ces pulsions contraires, une sorte d’hybridation entre la séduction des idées folles (si folles qu’elles auraient presque l’air neuf) et les outrances peu défendables qui vont parfois avec.

Tour de passe-passe
Il reste qu’il y a au sein de A Ghost Story trois bons quarts d’heure de cinéma prodigieux, touché par la grâce d’une simplicité presque primitive, une espèce de haïku fantastique d’une grande pureté, empaqueté dans son absence d’enrobage, et dont le plus bel artifice est de parvenir à faire croire qu’il n’y en a aucun, comme une fille qui saurait se maquiller chaque matin pour donner l’impression de ne pas l’être. La puissance du dispositif imaginé par Lowery repose presque entièrement sur une séquence clé : Rooney Mara vient reconnaître le corps de son époux décédé et quitte la morgue, accablée de tristesse. Mais plutôt que de la suivre et de mesurer auprès d’elle comment une absence trop forte peut se transformer en présence (base de toutes les histoires de fantômes, depuis la nuit des temps), la caméra s’attarde, reste auprès du corps du défunt, attendant le temps qu’il faut qu’il se relève (sous son drap) et décide de rentrer chez lui. Dès lors, le film ne lâchera plus jamais le point de vue du fantôme, fût-il inerte et anti-dramatique. À côté de lui, les gens continuent (ou recommencent) à vivre, mais la mise en scène se place délibérément du côté de la mort, donc de l’éternité et d’une définition élastique du temps, qui finit par s’abolir.
Pour parvenir à ce tour de force méditatif, il faut risquer les plans-séquences de treize minutes, précisément censés anesthésier (ou transcender) toute sensation de durée ou d’ennui. Envisagées sous cet angle, les scories arty ne sont plus seulement la faiblesse objective du film le temps de la projection, elles deviennent la preuve de sa réussite dans le souvenir qu’il laisse après coup, où elles finissent englouties, recouvertes par la permanence d’une sensation poétique assez folle. David Lowery parvient à conférer à son fantôme originel, qu’il ait ou non le visage de Casey Affleck, une dimension métaphysique et existentielle fulgurante, susceptible d’embrasser le cycle de la vie des hommes : furtif et éternel, futile mais crucial, à la fois déterminé et indéterminé, présent et absent, déjà mort mais toujours vivant. L’évidence du film, sa pseudo absence de sophistication ou de chichi est une illusion, bien sûr, un somptueux tour de passe-passe. Mais qu’il y ait un truc n’a jamais empêché la magie d’advenir. Au contraire, c’est même souvent la preuve qu’elle a bel et bien opéré.