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Amistad revient ce soir sur Arte.

Difficile de parler de l'esclavage noir aux Etats-Unis, notamment au cinéma. Peu de réalisateurs ont osé se frotter à ce sujet qui illustre les divisions qui ont marqué le pays de l'oncle Sam pendant des années. Une situation qui a tendance à changer depuis quelques années avec l'émergence d'un cinéma "noir" américain. L'effet, entre autres, de l'élection de Barack Obama, le premier président de couleur du pays. Mais Steven Spielberg n'a pas attendu son arrivée au pouvoir pour s'intéresser à cette histoire, son histoire. Le réalisateur, qui a marqué le monde de la science-fiction avec des films tels que E.T ou Jurassic Park, aime se replonger dans des films qui explorent les événements qui font de son pays ce qu'il est aujourd'hui. C'est le cas notamment en 1985 lorsqu'il sort La Couleur pourpre qui vaut un Golden Globe à Whoopi Goldberg. Il touche pour la première fois aux conséquences de la Sécession en racontant le destin de deux soeurs noires dans le Sud des Etats-Unis dans les années 1900. Soit peu de temps après la fin de la guerre de Sécession (1865) qui mena à l'abolition de l'esclavage avec la signature par Lincoln du 13ème amendement de la Constitution le 6 décembre 1865.

Une plongée au coeur de l'esclavage
Sa sympathie pour l'histoire noire-américaine, Steven Spielberg la met à nouveau en scène en 1997 lorsqu'il sort Amistad. Un long-métrage avec Djimon HounsouMorgan Freeman ou encore Anthony Hopkins, qui suit des esclaves noirs en transit pour l'Amérique sur un navire. Profitant d'une tempête, ils arrivent à se libérer et prendre le dessus sur leurs anciens maîtres. Ils exigent qu'ils les ramènent en Afrique. Mais ces derniers les trompent et les emmènent en Amérique où ils sont arrêtés. Deux abolitionnistes vont tout faire pour les aider.

Voir Steven Spielberg s'attaquer ainsi à l'esclavage a pu en surprendre plus d'un. Voire même en énerver certains frustrés de voir l'histoire des "noirs" racontés par un "blanc". Mais pour Steven Spielberg"évoquer cet héritage lourd et y faire face est de leur devoir", affirmait-il en 2013 au JDD. "D’autant qu’il a débouché sur le racisme, l’un des pires fléaux de notre société américaine, contre lequel on ne se bat toujours pas assez", ajoutait-il.

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1997, une année charnière
Pour faire Amistad sans alimenter les polémiques et jeter de l'huile sur le feu, Steven Spielberg a dû prendre un certain nombre de précautions. Refusant d'être critiqué pour avoir mis en avant une "version blanche de l'histoire", il a travaillé avec de nombreuses personnalités afro-américaines dont la poète Maya Angelou, le producteur Quincy Jones, le réalisateur Spike Lee ou encore l'actrice Debbie Allen (qui portait ce projet de film depuis longtemps) à qui il a confié la production. Précautions supplémentaires selon nos confrères de Libération, "seuls les membres noirs de l'équipe ont été autorisés à passer les chaînes aux acteurs, pour ne pas évoquer un passé encore à vif." Ce qui n'a pas empêché le film de faire débat. Il faut dire qu'il est sorti en 1997, année pendant laquelle les problèmes raciaux ont secoué les Etats-Unis rappellent nos confrères. Crimes raciaux en hausse, violentes critiques contre la discrimination positive, sorties de livres contradictoires sur la situation des afro-américains, un projet de mémorial de l'esclavage à Washington bloqué... Les tensions raciales sont fortes cette année-là. Ce qui oblige le président Clinton à promouvoir "le dialogue racial" et à créer une commission dans ce sens. Pas suffisant pour une partie de la population noire qui réplique en débaptisant certaines écoles portant le nom d'anciens maîtres esclaves. Bien plus qu'un simple film, Steven Spielberg a donc saisi sa caméra comme un symbole; une manière d'éveiller les consciences et montrer que l'esclavage concerne tout le monde.

La polémique Lincoln
En novembre 2012 aux Etats-Unis (le 30 janvier 2013 en France), Steven Spielberg revient sur la signature du 13ème amendement de la Constitution dans Lincoln. Une fresque portée par un Daniel Day Lewis magistral. Ce rôle lui a d'ailleurs valu le Golden Globe et l'Oscar en 2013 du meilleur acteur. Si le réalisateur a réussi à étouffer en partie les critiques sur son projet Amistad, ce n'est pas forcément le cas avec Lincoln. Effet de la présence de plus en plus importante du cinéma noir-américain à Hollywood ou simple coïncidence, certains lui reprochent de proposer une "vision blanche" de cette page de l'histoire. "J'ai vu Lincoln, les acteurs sont excellents mais ce n'est pas ma tasse de thé. L'histoire n'est pas racontée par ceux qui en sont le sujet. Tout comme dans Amistad. Qui sont les héros dans Amistad? Anthony Hopkins et Matthew McConaughey. Pour moi, peut-être parce que je suis noir, une histoire avec des esclaves doit être racontée de leur point de vue", a ainsi affirmé Steve McQueen, le réalisateur de 12 years a slave au Figaro.

Daniel Day-Lewis prend sa retraite

Que Steven Spielberg parle de l'esclavage alors que de nombreux réalisateurs noirs "auraient été plus légitimes" pour le faire n'est pas la seule critique entendue à propos de Lincoln. Si Frédéric Foubert, notre journaliste, louait une oeuvre qui est "une fascinante réflexion sur la loi, le langage et l’humanisme", un film "propulsé par les intuitions formelles sidérantes du cinéaste et le script ultradynamique de Tony Kushner", certaines voix se sont élevées aux Etats-Unis pour dénoncer la vision tronquée de l'histoire proposée par le réalisateur. L'historien Thomas DiLorenzo a ainsi pointé du doigt dans un article le "génie politique exagéré de Lincoln" dans le livre Team of Rivals de Doris Kearns Goodwin qui a inspiré Spielberg. Contrairement à la version présentée par le réalisateur, Lincoln n'a, selon lui, pas été un défenseur du 13ème amendement, mais a été "forcé par d'autres élus à voter ce texte".Mais peu importe les critiques lancées à son encontre, Steven Spielberg a réussi son pari avec ce film : faire une piqure de rappel à ses concitoyens. "Si la démocratie nous paraît parfois imparfaite, elle est encore le meilleur garant de nos libertés. J’ai voulu le rappeler à mes concitoyens, qui, en cette période de crise, doutent de leur système politique", a-t-il confié au JDDAmistad est diffusé ce lundi soir à 20h55 sur Arte.

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