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Nicolas Boukhrief, Pascal Laugier et Tchéky Karyo évoquent le cinéaste qui vient de mourir.

L’un a fait ses armes à ses côtés (Nicolas Boukhrief), l’autre a été son acteur (Tchéky Karyo dans L’Amour braque), le troisième est un de ses plus grands admirateurs (Pascal Laugier). Au cours de différents entretiens, ils avaient chacun évoqué Andrzej Zulawski, le cinéaste polonais qui a fait l'essentiel de sa carrière en France, mort ce 17 février. Les deux réalisateurs français parlent de leur amour pour Possession, un conte fantastique malade sur le déchirement d'un couple, plein de bruit et de fureur, qui valut à Isabelle Adjani le Prix d'interprétation à Cannes en 1981, un César en 1982 et, selon les dires de l'actrice, un sérieux traumatisme. Tchéky Karyo, lui, tourne pour Zulawski quatre ans plus tard dans L’Amour Braque, libre adaptation de L'Idiot de Dostoïevsky dans laquelle l'acteur se retrouve pris dans un triangle amoureux avec Sophie Marceau et Francis Huster.

Nicolas Boukhrief

"J’ai ressenti une telle fascination pour Possession à sa sortie (1981) que j'ai fini par rencontrer son metteur en scène, auprès duquel j'ai fait mes premières armes dans le cinéma en tant qu'assistant. Près de 35 ans après sa fabrication, la force visionnaire, horrifique, poétique du film reste intacte. Il se double en plus aujourd'hui d'une dimension quasi documentaire sur le Berlin d'avant la chute du mur, la Adjani d'avant sa starification (à mes yeux, son meilleur rôle) et les effets spéciaux d'avant le numérique (le sublime monstre du film a été crée par feu Carlo E.T. Rambaldi). L'un des rares chefs d'oeuvre du cinéma fantastique produits en France".


Tchéky Karyo

"L’Amour Braque, c’est presque du Tarantino je trouve : l’hystérie, les flingues, les mots d’auteur… Zulawski c’est clairement de l’avant-garde, chez lui les émotions font des cloques sur la peau. Il vous parle à la fois d’intériorité et exige que votre jeu soit bouillonnant, c’est très particulier."


Pascal Laugier

"Étrange de réaliser que mon film français préféré est largement apatride. Auteur polonais, acteurs allemands ou français, “truqueur” italien... Un rêve de cinéma européen, en somme, si celui-ci avait jamais existé. Zulawski, cinéaste négligé ? Oui, et même terriblement, mais ça n’a aucune importance. Les initiés se refilent les meilleurs titres comme des secrets fiévreux. En cette époque de “digestion” de tout, il reste des choses dont il faudrait gueuler
le génie, et c’est heureux. Dans Possession, un couple se déchire, sujet national par excellence traité ici sans une once de psychologie. Le film grandit à chaque vision, révèle ses motifs cachés dans les images, ses nuances dans le délire. L’amour est un chien de l’enfer franco-polonais, il a le visage morbide d’Isabelle Adjani et il se vide de ses substances intimes dans les couloirs du métro berlinois. Je ne m’en suis jamais remis."