DR

La comédienne avait ouvert la saison théâtrale avec Une Femme à Berlin, basé sur le journal anonyme d’une jeune berlinoise prise dans une ville livrée aux troupes russes ivres de vengeance. Elle reprend pour quelques représentations ce texte bouleversant, mis en scène par Tatiana Vialle.Propos recueillis par M.-C. NivièrePourquoi reprendre ce spectacle ?Quand Tatiana m’a proposé ce projet, j’ai accepté de suite à la condition de jouer la pièce sur une courte durée. Mon problème était de tenir la distance. Mais ce texte est tellement emprunt de vitalité et d’énergie, qu’il vous porte. Après un mois au Rond-Point, il y a eu deux mois de tournée. Je l’ai joué de septembre à décembre, et je me suis retrouvée à avoir du mal à quitter cette « Femme à Berlin », à me dire que c’était terminé. J’ai donc décidé de retrouver cette grande et belle femme qui a un tel appétit de vivre malgré ce qu’elle subit. Après ces quatre mois sans jouer, je vais voir comment les choses ont travaillé en moi.Racontez-nous la rencontre avec ce magnifique texte.D’abord c’est Tatiana qui me l’a apporté. C’est le récit d’une femme lucide qui a voulu rester anonyme. Ce n’est pas une femme, mais toutes les femmes. Ce texte pose un regard sur ce qu’elles sont dans la guerre. A elles, on ne donne pas de médailles ! Pourtant, elles subissent une violence insidieuse. C’est aussi se demander ce que cela signifie d’être un Allemand, pas un nazi, dans cette tourmente. Cela pose la question de la responsabilité. Comme beaucoup, cette femme ne s’est pas opposée, ni posé de questions. Devant la violence des Russes, elle a une acceptation due à son sentiment de « culpabilité ». Quelle est notre part de responsabilités lorsqu’on est passif ? Ce texte donne envie d’être davantage partie prenante en politique mais aussi dans la vie tout court.Elle fait un travail de mémoire pour que l’on sache ce qu’une femme peut vivre dans l’horreur de la guerre.L’écriture l’a sauvée et son anonymat, l’a protégée. La sortie du livre en 1954 aux Etats-Unis, puis en Allemagne en 59, a provoqué un tel scandale qu’elle a refusé que de son vivant on le ressorte. Une décision qui montre combien elle a été blessée. Au-delà de la défaite de l’Allemagne, c’est celle de l’homme. De ce surhomme dont parlait le nazisme. Qui est tombé bien bas à la fin de la guerre. Les femmes voyaient rentrer des hommes défaits, qu’elles ne reconnaissaient plus. Qu’est-ce que l'après-guerre ? Comment vivre ensemble ? Ce texte parle aussi de ça. Elle est toujours en train d’interroger, dans toutes les nuances, sa responsabilité. Faire l’amour pour manger, est-ce bien ? Elle a le sentiment de maîtriser les choses, alors qu’il n’en est rien. C’est très touchant.Pourquoi avoir choisi de porter ce texte sur scène ?Pour le faire entendre. Aujourd’hui, en Allemagne, les femmes peuvent enfin parler de ce qu’elles ont vécu. C’est émouvant parce que ce sont des grands-mères. C’était aussi être dans le temps présent avec ce texte bouleversant qui révèle leur combat pendant la guerre. Les Allemandes ne sont pas les seules concernées, les femmes sont, quelle que soit l’époque, partout dans le monde, bien souvent les premières victimes de violence pendant les conflits, les viols sont assimilés aux pillages… Ce n’est que depuis 1993 qu’ils peuvent être condamnés ! On nous a fait le reproche d’avoir réduit le propos, par notre adaptation. Sur les deux cents pages du livre, nous n’en avons gardé qu’une trentaine qui dessine une histoire. Bien sûr, des choses manquent, mais il fallait faire un choix. L’auteur de ce texte est un écrivain. Quel dommage qu’elle n’ait écrit que cet ouvrage…Comment avez-vous abordé ce rôle si à fleur de peau et lumineux ?Toute en me laissant libre, Tatiana m’a bien guidée. J’avais besoin de respirer ce texte, de le laisser venir en moi. Il n’était pas question d’aller dans l’apitoiement, car c’était verser dans le mélo. Chaque soir, en jouant, j’essaye d’être surprise par l’émotion, je ne cherche pas à la provoquer. Tout l’équilibre du spectacle réside entre pudeur et émotion, entre le témoignage lucide et l’intime. La direction d’acteur de Tatiana a été de faire entendre cet équilibre.Comment les spectateurs ont-ils perçu ce récit ?C’est incroyable la qualité d’écoute, que ce soit à Paris ou en province. Et cela me touche à chaque fois. J’avais peur que les gens dans la salle fassent la comparaison avec les victimes du nazisme. Qui a le plus souffert ? Ce n’est pas le propos du texte. D’ailleurs, elle le dit à la fin, quand elle découvre avec horreur un reportage sur les camps. Avec son journal, cette femme rend juste compte de ce qui s’est passé. En province, nous avons eu bon nombre de scolaires et fait des débats avec eux. Pour beaucoup d’entre eux ce fut un choc. Il y avait ceux qui découvraient le théâtre, ceux qui découvraient que l’on pouvait aussi jouer des textes si vivants, intimes.Au Rond-Point comme en tournée, ce fut un succès. Ce qui m’a aussi surprise c’est que, même si aujourd’hui on pense que les gens ne veulent voir que des comédies, ils sont venus entendre ce récit. Cela démontre qu’ils ont aussi envie d’autres choses. Ça me fait songer au succès du roman « Purge » de Sofi Oksanen qui a sidéré les libraires. Par son sujet, on n’était pas dans la chronique d’un succès annoncé. En septembre, quand j’ai commencé la pièce, pendant sa promotion, je n’arrêtais pas de m’excuser de venir avec un tel texte. Depuis, j’ai arrêté de le faire. La qualité d’écriture de Une Femme à Berlin permet d’être écouté par un grand nombre de gens au-delà du fait de savoir si c’est léger ou non. Et ça, c’est enthousiasmant !Une Femme à Berlin au Théâtre des Mathurins >> Réservez vos places pour ce spectacle !>> Lire la critique du spectacle