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On vous avait rencontrées à Cannes, juste après la projection du film à la Semaine de la critique. Vous étiez à la fois sages et très nerveuses... Joséphine Japy : Ca va mieux maintenant. Lou de Laâge : En même temps, il y a une nouvelle excitation qui s’installe. Joséphine : Oui, celle de la promo. Surtout parce qu’on a envie de bien défendre le film.On avait beaucoup évoqué La Vie d’Adèle... Lou : En fait, on avait parié dans notre coin que tous les journalistes nous en parleraient durant le Festival, mais ce n’est pas arrivé, sauf avec vous, donc.Joséphine : C’était surtout « l’effet Cannes » qui rapprochait les deux films. On ne peut pas comparer une histoire d’amour et une histoire d’amitié entre deux filles.La première bande-annonce ne se gênait pourtant pas. D’un point de vue marketing, elle vendait La Vie d’Adèle bis...Lou : C’était le cas dans l’ancienne bande-annonce. Je crois qu’ils l’ont refaite parce que, justement, elle donnait une idée du film qui n’était pas totalement juste. Joséphine : Je pensais au contraire qu’ils voulaient éviter le rapprochement, du moins c’est ce que j’avais compris. Parce que bon, ça n’a rien à voir. Respire a une identité propre et ne raconte pas la même histoire, ce sont deux longs métrages radicalement différents.Votre film parle d’une amitié amoureuse et...Lou : (Elle nous coupe la parole.) Non. Joséphine : Ah, ah ! Déjà là, on n’est pas du tout d’accord. Lou : Une amitié féminine, nuance. Joséphine : C’est une amitié passionnelle, au sens de l’adoration de l’autre. Ce que les Américains appellent une « sismance ».Le féminin de « bromance » ? Joséphine : Voilà. Ces deux jeunes filles ont un rapport d’exclusivité l’une envers l’autre. Elles doivent toujours tout faire ensemble, tout partager. C’est particulier, deux filles qui décident qu’elles sont faites l’une pour l’autre.Avez-vous connu des amitiés de ce genre ?Lou : C’est extrêmement fort, très possessif. Tu passes tout ton temps avec cette autre et elle devient plus importante que n’importe qui dans ta vie.Joséphine : Ca devient une forme de prison. Quand tu es avec elle, tu te demandes si elle t’aime autant que tu l’aimes. Quand tu n’es pas avec elle, tu veux savoir ce qu’elle fait et avec qui. En plus d’être très féminin, c’est très adolescent comme comportement.Et entre vous, ça se passe comment ?Joséphine : On est dans l’adoration ! Lou : On vit ensemble depuis le film. (Rire.) Non, sérieusement, on a eu de la chance. On n’a pas vraiment dû jouer l’osmose ou la complicité parce que tout existait déjà entre nous dans la vie.C’est de cette façon que Mélanie Laurent vous a choisies, en vous testant l’une face à l’autre ? Joséphine : Non, c’est venu plus tard. Elle nous a d’abord castées séparément. La première fois qu’on s’est rencontrées avec Lou, on n’en menait pas large. On était hyper stressées ! On avait adoré le script et on était un peu étonnées d’être là. Puis Mélanie nous a réunies pendant cinq jours à la campagne. J’étais encore très angoissée. Je me disais : « Si ça se passe mal avec Lou, on ne pourra pas faire semblant. » Lou : On a debriefé nos vies pendant le séjour et Mélanie nous a projeté des films.Lesquels ?JoséphineMy Summer of Love (Pawel Pawlikowski, 2005)Ginger & Rosa (Sally Potter, 2013)... Lou : Martha Marcy Martha... Je n’arrive jamais à le dire celui-là.Martha Marcy May Marlene (Sean Durkin, 2012). Lou : C’est ça ! Super film... Et aussi Elisa (Jean Becker, 1995), qui m’a inspirée pour mon personnage de Sarah.Tous ces longs métrages ont vraiment nourri Respire... Joséphine : Mélanie place la barre assez haut. J’aime son ambition de « faire du cinéma ». Il y a quelque chose dans ses films qui fait dérailler le quotidien et l’emmène dans une dimension cotonneuse, onirique. C’est assez tripant.Joséphine, tu devais passer des partiels à Sciences-po juste après Cannes. Verdict ? Joséphine: J’ai monté les marches le 18 mai et dès le lendemain matin, je suis retournée à Lyon pour passer mes examens. Et j’ai décroché mon année ! Poursuivre mes études me permet de ne pas considérer le fait d’être actrice comme un travail. Ce n’est pas mon métier, c’est ma passion.Et toi, Lou ?Lou : Pour ma part, je fais du théâtre. (Rire.) À mon sens, le cinéma, c’est de la dentelle, et le théâtre, du tricot. Et je trouve très intéressant d’apporter au cinéma la liberté que t’offre la scène.De Laâge, c’est un nom belge ?Lou : J’ai un problème avec ça parce que j’ai toujours cru que c’était belge, oui. Ca fait vingt-quatre ans que je raconte à tout le monde que je suis d’origine flamande, mais tout récemment, mon père m’a dit qu’en fait, on ne sait pas vraiment d’où ça vient. Le mystère reste entier. Mes grands-parents sont originaires de Charente-Maritime...Vous avez déjà joué toutes les deux dans des films qui ont connu de gros succès publics (Jappeloup de Christian Duguay, 2013, pour Lou ; Neuilly sa mère !, de Gabriel Julien-Laferrière, 2009 ; et Cloclo, de Florent-Emilio Siri, 2012, pour Joséphine), et pourtant on ne vous connaît pas encore bien... Lou : Je ne sais pas. On commence juste notre carrière, non ? C’est parfait comme ça. Être projeté dans ce monde trop rapidement, c’est assez flippant. Et puis je ne veux pas fantasmer sur l’idée de travailler avec telle ou telle personne parce que si ça n’arrive pas, je serai sans doute déçue. Allez, petit cinéma français, fais-moi rêver, j’ai envie de dire... Je n’ai pas envie de te rêver avant.Mélanie Laurent nous a raconté qu’au beau milieu du tournage, elle a cru qu’elle s’était plantée, que le film serait une véritable catastrophe... Joséphine : Oui, on était partis dans une direction qui... Disons que Sarah était très méchante et Charlie, mon personnage, était très perdue. Du coup, Mélanie s’est dit : « Merde, il faut que je refasse tout, le film est en train d’aller au-dessus de ce qu’il doit être. » Elle a vraiment eu a un coup de flip. Lou : Et en même temps, ça nous a tous réveillés ! C’est ça le cinéma. On cherche, on cherche et on finit par trouver.Interview Benjamin RozovasRespire de Mélanie Laurent avec Lou de LaâgeJoséphine Japy et Isabelle Carré sort le 12 novembre dans les salles