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A l’occasion du petit thriller concept Criminal, rencontre en cinémascope avec un des derniers géants hollywoodiens. 

Qu’est-ce que la classe américaine ? Un truc qu’on n’a pas ? Une formule semi-parodique de Michel Hazanavicius ? Un sens du sacré, de la droiture morale, dont on se moque tout haut mais qu’on envie tout bas ? Personne ne sait. Difficile, pourtant, de ne pas y être sensible. Le discours de Kevin Costner aux Césars 2013 (introduit par le dit Michel) restera comme l’un de ces grands moments de dés-exception culturelle où la beauté de l’âme américaine abat les remparts de l’académisme français pour y faire entrer l’humilité. Outre-Atlantique, ils ont une expression : « What you see is what you get ». Costner, tout en force tranquille, en est l’incarnation vivante. Père de sept enfants, combattant écolo, amoureux de ses terres et de son travail, il mène une existence paisible à l’abri de la rumeur et de la célébrité. Un héros de cinéma qui se vit en cow-boy moderne. Une star américaine. Sous cet angle-là (mythologique), il est sans doute la dernière en date… Lorsque l’eau eut fini de couler sous Waterworld, que sa traversée du désert fut achevée, beaucoup ont été surpris de le retrouver intact, intouché, toujours aussi laconique, droit dans ses bottes, Américain. Toujours aussi beau. Ce classicisme-là, par définition, ne vieillit pas. À 61 ans, même s’il est moins sollicité qu’au temps de sa gloire, Costner a repris la place qui est la sienne dans le cinéma US. Il nous reçoit dans son ranch de Santa Barbara, face à l'océan.

En 2012, la mini-série Hatfields & McCoys a marqué un immense retour d’amour du public américain à votre égard. Vu d’ici, ça avait le goût de la rédemption. Est-ce comme cela que vous l’avez vécu ?
Je ne sais pas… On ne peut pas dilapider son existence à essayer d’être aimé ou compris. La seule chose que l’on puisse faire, c’est s’efforcer de rester fidèle à soi-même. Et ça ne se rapporte pas qu’au cinéma, mais aussi à la manière dont on se conduit dans le business, dans le privé, etc. Je fais de la musique country depuis dix ans avec mon groupe Modern West. Je viens de consacrer trois années à l’écriture d’un bouquin, The Explorers Guide, que je vous conseille vivement.

Bel objet.
Et merveilleux à lire ! Je l’ai écrit dans le style de Kipling ou Jules Verne. Est-ce que c’est du même niveau ? Je ne sais pas, mais on a cherché avec mon co-auteur Jon Waits, à retrouver la dimension des grands classiques. Plus personne n’écrit de ‘classiques’ aujourd’hui… Pour en revenir à Hatfield & McCoys, c’est exactement le genre d’histoires qui m’intéresse. Je me prépare d’ailleurs à réaliser un gros western cet été, Horizon, une saga de 8 à 10 heures que j’espère décliner en plusieurs films.

« Je joue des hommes ordinaires confrontés à des situations universelles »

Vous trimballez avec vous tout un univers americanesque. Le héros laconique et travailleur, le sens de l’honneur, du sacrifice, de la patrie… C’est à ça que le public vous identifie, non ?
Si mes films ont voyagé à travers le monde, c’est lié à ça. Je suis irrémédiablement américain, personne ne pourra le nier. Les thèmes qui jalonnent ma filmographie ont ce gène commun et, pour cette raison, sont très faciles à assimiler pour un public européen ou asiatique. Tomber amoureux d’une afro-américaine dans Bodyguard, défendre sa terre, élucider le meurtre de JFK… Je joue des hommes ordinaires confrontés à des situations intuitivement universelles.

Toute ma vie, j’ai écouté ma mère vous désigner comme son acteur préféré, son leading man de choix…
(Rires) Si vous saviez le nombre de fois qu’on m’a dit ça ! ‘Ma mère vous adore’… Je suis toujours ravi de l’entendre, comprenez-moi bien, mais c’est un bon moyen de ne pas surestimer mes chances vis-à-vis de la génération actuelle, si vous voyez ce que je veux dire.

Encore aujourd’hui, elle peut s’asseoir deux soirs de suite devant Le Pari : Draft Day (2014, réalisé par Ivan Reitman, sur les coulisses des tractations financières dans le foot US, ndr) alors même qu’elle n’y comprend rien
(Rires) Mmm… celui-ci est sans doute trop américain, y compris pour le public US. Mais pas pour votre maman visiblement…

En général, à l’exception de maman, c’est avec vos films de sports que le public français met le holà : Duo à trois, Jusqu’au bout du rêve, Tin Cup etc…
Oui, aux Etats-Unis, Jusqu’au bout du rêve est celui dont on me parle le plus. Les répliques du film font partie du langage courant : « Si tu le construis, il viendra ». Mais dans le reste du monde, c’est comme s’il n’existait pas. On me cite davantage Bodyguard ou Danse avec les loups.

Vous êtes l’une des dernières movie stars dont la popularité est née à travers les films. A l’ère de George Clooney et des pubs Nespresso, ça n’a plus vraiment cours…
Beaucoup d’acteurs aujourd’hui sont directement propulsées à l’affiche de franchises gigantesques, lesquelles engrangent 300 millions de dollars (ou coûtent 300 millions de dollars) et font de ces jeunes inconnus des stars instantanées. À l’époque, les films qui ont permis de me lancer, comme Duo à trois ou Jusqu’au bout du rêve, coûtaient 4 ou 6 millions. Pour Danse avec les loups, j’ai carrément hypothéqué ma maison (cette maison dans laquelle on se trouve !) et investi de mon propre argent : 16 millions de dollars ! Ma notoriété provenait des films eux-mêmes, et ces films étaient portés par ce qu’on y décelait de ma personnalité. Ils étaient, comme on l’a dit, purement et simplement américains. Ils n’essayaient pas d’être internationaux ; pour certains d’entre eux, ils le devenaient, mais plus par affinité que par calcul.

« A une époque, l’un de mes jobs quotidiens était de m’assurer que la suite de Bodyguard n’existe pas »

Vous n’étiez d’ailleurs pas trop porté sur le cinéma high-concept jusqu’à Criminal
C’est mon premier. Un film pop corn qui ne se prend pas la tête et repose sur le plaisir simple de voir Jericho dérouiller un mec au prétexte que celui-ci l’a regardé de travers. Il y a une certaine joie là-dedans… Mais à côté, je fais Black or White (2014, réalisé par Mike Binder, l’histoire d’un blanc qui se bat pour la garde de sa petite fille noire, ndr), produit avec ma femme, avec notre argent, parce que c’est un film nécessaire. Je m’apprête à en tourner un autre, Hidden Figures, sur trois femmes noires qui ont contribué à lancer notre programme spatial dans les années 60… J’apprécie le fait d’être populaire, mais ça n’a jamais été un moteur. Je suis davantage amoureux de ma terre. De mes enfants. Et de l’idée même de fabriquer des films.

Et vous n’avez jamais fait de suites…
Jamais ! Je n’ai jamais essayé de reproduire mon dernier succès quatre fois de suite. Ou cinq fois de suite. Ou six fois de suite… Ça ne m’intéresse pas. Pourtant, j’aurais pu. À une époque, l’un de mes jobs quotidiens était de m’assurer que la suite de Bodyguard n’existe pas. Surtout pas ! Et croyez-moi, c’était du boulot !

Vous faites désormais du cinéma à plus petite échelle. Connaissant votre amour des sagas et du cinéma épique, en tirez-vous une certaine frustration ?
Non, parce que je ferai ces films ! J’en ai trois dans les tuyaux : Horizon, le western dont je vous parlais, l’adaptation de mon livre The Explorers Guide, et Modoc, l’histoire de l’amitié entre un éléphant et un garçon étalée sur sept décennies et trois continents. Dieu seul sait lequel verra le jour en premier. Mais j’y arriverai, vous verrez.

Un film au budget serré comme Criminal se monte-t-il sur la promesse de votre performance ?
J’étais surpris que le réalisateur me demande de jouer Jericho. Il venait de voir Draft Day quand il m’a appelé ! Qu’est-ce qui lui a fait penser, en voyant Draft Day, que je convenais pour Criminal ? Aucune idée ! C’est un rôle qui m’a permis de m’élever sur l’échelle du bag guy. De Un monde parfait à Criminal, en passant par Mr Brooks, j’ai été de plus en plus méchant… J’ai insisté pour laisser les deux grosses cicatrices apparentes à l’arrière de son crâne (On a implanté à Jericho la mémoire de Ryan Reynolds, ndr). On me disait « ce sera dégueu, tu seras moche ! ». Mais je voulais qu’il n’y ait aucun doute dans l’esprit du public sur le fait que cet enfoiré souffre à chaque instant d’horribles migraines.

« Je ne suis pas le genre d’acteur capable d’éclater quatre méchants en même temps »

Je ne vous ai jamais vu aussi violent à l’écran…
Non. Et j’ai orchestré une bonne partie des horreurs que vous voyez dans le film. J’ai par exemple chorégraphié toute la baston autour du van. Je ne suis pas le genre d’acteur capable d’éclater quatre méchants en même temps. Ce n’est pas crédible. Mais si je les prends un par un, dans un mouvement chorégraphié et continu, l’illusion est parfaite. Coups de machette dans le torse, boum ! Lancer de machette au visage, boum ! Tête dans la portière, Boum !... On a coupé la fin de la scène. Jericho s’empare de l’antenne radio du van pour fouetter le dernier sbire encore debout mais celui-ci s’enfuit en courant (Rires) !    

Dans ces cas-là, le réalisateur est ravi de vous laisser faire ?
Ecoutez, dans ce cas-là, Ariel Vromen est un ami. Il a compris que pour que je me sente à l’aise dans ces scènes de baston, il fallait me laisser jouer avec.

À quelques exceptions près (Les Incorruptibles, Un Monde Parfait, JFK), vous n’avez pas frayé avec les grands cinéastes dans votre carrière. C’est dingue qu’en dehors d’un épisode d’Amazing Stories, vous n’ayez jamais tourné avec Spielberg par exemple
Je n’ai pas eu les grands réalisateurs. Et je ne sais pas pourquoi. J’adorerais faire des films avec Spielberg, Nolan ou P.T Anderson, ne serait-ce parce qu’en tant qu’acteur, on se sent extrêmement protégé sur des plateaux comme les leurs. Peut-être sont-ils hésitants à mon encontre parce que je suis moi-même réalisateur…

Un mot sur Mad Max : Fury Road ?
Oh, j’ai adoré ! J’ai la plus grande admiration pour George Miller. Il a les mains dans le cambouis et il se démène comme un diable pour que personne n’interfère. Très peu sont faits de ce bois-là. Quand il dit, « Je remercie Warner Bros de m’avoir soutenu », moi j’entends « Je les remercie de ne pas avoir approché mon film à moins de dix mètres et de le sortir tel que je l’avais imaginé ». Je le comprends, je suis comme lui : je veux pouvoir prendre sans interférence des décisions adultes concernant le rythme de mes films, leur durée, leur look, etc. Et regardez ce qu’on obtient de Miller quand on le laisse libre de créer : un chef d’œuvre !

De quelles interférences parlez-vous ? Sur Postman ?
Non, j’assume l’entière responsabilité de Postman. C’est un film que la Warner m’a commandé et que j’ai réalisé au maximum de mes possibilités, à la manière d’un conte de fées moderne. C’est d’ailleurs ma grosse erreur sur le film : ne pas avoir placé le panneau « Il était une fois » en ouverture…   

Criminal d'Ariel Vromen avec Kevin Costner, Ryan Reynolds et Gal Gadot sort le 4 mai dans les salles :