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Et de deux. Cinq mois après Olivia de Havilland, Kirk Douglas la rejoint au palmarès des centenaires du cinéma hollywoodien. Tandis que les rockeurs du XXème siècle tombent un à un, il s’agit cette fois de célébrer les vivants.

Kirk a 100 ans. Même son fils Michael est aujourd’hui une vieille star (72 ans, mais oui). Papa l’a vu devenir une vedette immense, puis un has-been, il l’a vu effectuer son come back, il l’a même vu dans Ant Man, se jouer jeune, grâce à la magie des effets digitaux. Ça a dû lui faire drôle.

Kirk Douglas les aura donc tous enterrés, ou presque. L’autre fossette au menton (Robert Mitchum, mort en 1997, avec lequel il partageait l’affiche du monumental la Griffe du passé de Jacques Tourneur), l’autre sourire à pleines dents (Burt Lancaster, disparu en 1994, avec lequel il remontait la rue dans Règlement de compte à OK Corral,) mais aussi toutes les autres célébrités aperçues dans Dalton Trumbo. Pour ce biopic hollywoodien et moustachu sorti l’an dernier, l’acteur néo-zélandais Dean O’Gorman prêtait son menton prognathe et sa voix de canard (rudement bien imitée) à Kirk, l’homme qui, le premier, remit la mention « écrit par Dalton Trumbo » au générique d’un film (et pas n’importe quel film, Spartacus). Un héros, un vrai.

Les meilleurs films de Kirk Douglas par Kirk Douglas

Il faut dire que Kirk n’est pas n’importe quel acteur. Dans la filmo de Stanley Kubrick, il est le seul à avoir tenu deux premiers rôles (Spartacus et les Sentiers de la Gloire), ce qui place quand même les débats assez haut. Ces deux perfs stupéfiantes établissent que Kirk est de ces acteurs aussi extraordinaires en couleurs qu’en noir et blanc, aussi fabuleux en technicolor qu’en clair obscur. La blondeur n’y est pas pour rien. La fossette non plus. La façon dont ses pommettes et sa mâchoire sont sculptées par la lumière. Et enfin ses deux yeux d’aigle qu’il prend garde de ne jamais cligner, bien rentrés dans les orbites, comme des arbalètes dans des meurtrières, prêtes à te canarder.

Immortel

En ce jour d’anniversaire, les films et les rôles défilent, comme on allume des bougies. Le producteur hanté des Ensorcelés de Minnelli, sans doute le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre sur Hollywood. La petite moustache de son Doc Holliday dans Ok Corral (John Sturges). Ses jongleries de flingue dans l’Homme qui n’a pas d’étoile (King Vidor), son œil crevé dans les Vikings (Richard Fleischer) son torse en V dans Spartacus (Kubrick), sa veulerie superbe dans le Gouffre aux chimères (Billy Wilder), son doigt coupé dans la Captive aux yeux clairs (Howard Hawks). Et tout ça sans citer Aldrich, Mankiewicz, Walsh, Curtiz, Wyler, Preminger ou Kazan

Un jour, pour la promo du Fils du Chiffonnier, son autobiographie publiée 30 ans trop tôt (1988), Kirk Douglas était l’invité d’une émission de Bernard Pivot (Apostrophes). Egalement présent, le publicitaire Jacques Séguéla lui lance, comme un compliment, « à Hollywood, il y avait les stars et les grands acteurs ; vous, vous étiez plutôt un grand acteur ». Réponse en français, avec le sourire qui croque et les yeux qui tuent : « Mais qui êtes-vous, monsieur, pour dire qui est une star et qui ne l’est pas ? ». On nous l’avait vexé, le Kirk. Pour le coup, c’était une réaction de star, une vraie. Aucun doute là-dessus.

Elia Kazan regrettait une seule grande erreur de casting dans sa vie : avoir pris Kirk Douglas pour jouer l’homme brisé de l’Arrangement, « parce qu’on ne peut pas imaginer une seconde que ce type puisse perdre ». Etrange affirmation, tant il est vrai que Kirk perd dans presque tous ses films. A l’écran, il meurt souvent, plus souvent que n’importe quelle autre, heu, star (sorry Jacques) de l’âge d’or hollywoodien. Et quand il ne meurt pas, il perd. Perd la fille, perd le procès, perd le fil. Mais voilà, même quand il perdait, il sortait gagnant des films. Invincible, incassable, immortel. Un jour comme aujourd’hui, c’est prouvé.