Across the Universe en 3 scènes musicales cultes inspirées par les Beatles
Sony Pictures Releasing France

La comédie musicale originale de Julie Taymor vient de fêter ses 15 ans.

"Peut-on réaliser un film musical en utilisant les chansons des Beatles sans froisser les fans ?" Fin novembre 2007, à l'occasion de la sortie dans les salles françaises de sa comédie musicale Across the Universe, Gérard Delorme posait la question à Julie Taymor dans Première, et la réalisatrice rétorquait du tac au tac : "J'assume entièrement. Rien, surtout dans le domaine de l'art, n'évolue sans prise de risques. Parce que c'est un musical, j'ai aussi la licence de me laisser glisser dans cet état abstrait, fantastique et surréaliste que suggèrent les différents niveaux des chansons." Et c'est bien de là que vient toute l'originalité de son film : offrir au public un tout nouveau sens aux morceaux cultes des Beatles.


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A sa sortie, Claire Fortier-Durand avait beaucoup aimé cette relecture des tubes des Beatles suivant Jude (Jim Sturgess) tombant amoureux de Lucy (Evan Rachel Wood) sur fonds de conflits sociaux et politiques aux Etats-Unis. Elle écrivait pour Premiere.fr : "Après une flopée de films relatant la guerre en Irak (Dans la Vallée d’Elah, Redacted, Lions et agneaux), Julie Taymor nous ramène quant à elle dans la période troublée de la guerre du Vietnam. Mais ici, point de Full Metal Jacket. La guerre reste en toile de fond car la cinéaste s’est surtout attachée à la révolution sixties : amour, peace and rock n’roll ! Sur certains des plus beaux textes des Beatles, on s’immerge dans cette histoire d’amour musicale tout en suivant le parcours de ces personnages définitivement attachants, et où on peut même rencontrer Salma Hayek, Bono et Joe Cocker. C’est enjoué, vivant et émouvant. Une des plus belles réussites musicales de cette fin d’année en salles."
    

Dans sa critique pour le magazine, Sophie Grassin regrettait tout de même que ce point de départ ambitieux ne porte pas toujours ses fruits. "Entre itinéraires personnels et histoires générationnelles, le pari de Julie Taymor fonctionne la moitié du temps si l'on passe en coup de vent sur la réorchestration discutable des chansons, écrivait-elle. Mais la réalisatrice semble parfois mettre son imagination visuelle en veilleuse, à l'exception de deux séquences psychédéliques et réduit la guerre du Vietnam au statut du clip." Elle ajoutait cependant que si le défi "de donner un demi-frère sixties à Moulin Rouge !" de Baz Luhrmann n'était pas, selon elle, à 100% accompli, quelques scènes tiraient parfaitement leur épingle du jeu : "Au rayon des réussites : Strawberry Fields For Ever, qui voit Jude bombarder ses toiles de fraises saignantes (car il peint) ou la scène des GI en caleçons traînant une statue de la Liberté dans la jungle vietnamienne (...) et des caméos convaincants", comme celui de Joe Coker en maquereau. Ces trois séquences, à revoir ci-dessous, sont effectivement marquantes, et vous donneront peut-être envie de (re)voir ce film original, 15 ans après sa sortie au cinéma ?

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"I Want You (She's So Heavy)"
Dans ce tube de 1969, les Beatles hurlaient leur désir envers une femme capable de rendre son amoureux accro. Ou plus précisément : son compositeur John Lennon faisait cette déclaration à sa deuxième femme, Yoko Ono, durant un long morceau (plus de 8 minutes). Ici, cette chanson prend un tout autre sens : en plus de l'addiction amoureuse -ou autre, on peut aussi comprendre dans ces paroles des allusions à la drogue ou à diverses obsessions- ce fameux "I Want You" devient celui de l'Oncle Sam, qui a besoin de recrues pour son armée. Il ne veut pas des amantes, mais de jeunes soldats, de la chair fraiche à envoyer au front. Une relecture totalement inattendue, qui est développée tout au long du morceau. "She's so heavy" y désigne par exemple la (statue de la) liberté, devenue bien trop lourde à porter par l'armée américaine lorsque ses soldats s'embourbent au Vietnam dans un conflit qui n'en finit plus.


"Strawberry Fields For Ever"
Autre séquence marquante aux paroles détournées : quand Jude peint des champs de fraise, visiblement aussi inspiré par le rouge de l'amour (comme sur l'affiche du film d'ailleurs) que de celui du sang, de la mort, de la guerre et ses (trop) nombreuses victimes. Mieux, de toile de fond, cet autre sens passe sur la toile principale de l'artiste. Cette chanson, qu'on avait toujours sifflotée comme une balade romantique, sans y penser, devient un manifeste pour l'art et contre la guerre, une idée qui parcourt cette oeuvre de bout en bout.


"Come together"
Parmi les caméos d'Accross the Universe (Salma Hayek, Bono...), celui de Joe Cocker en mac est le plus réussi, le chanteur invitant le public à le rejoindre, à se réunir le temps d'une reprise électrique de "Come Together." Sa voix rauque est reprise par les choeurs, notamment par des prostituées qu'il emploie, et qui dansent pour lui. Puis des employés de Wall Street rythment à leur tour cet hymne à la fraternité, détourné ici de façon plus sombre, le monde du travail promettant d'être plus glauque que ce que l'on nous avait promis enfants. En même temps, le pote guitariste des héros, joué par Martin Luther McCoy, parvient à décrocher un job dans cet environnement peu avenant. Sa réussite personnelle tranche d'autant plus avec cette vision sombre de la société, où l'individu s'efface dans la masse.