Avec Aucun homme ni dieu, Jeremy Saulnier signe un thriller ambitieux mais confus [critique]
Netflix

Hold The Dark aurait mérité une fin plus claire pour être pleinement efficace.

Jeremy Saulnier, acclamé pour Green Room (2015) et surtout Blue Ruin  (2013) réalise Hold the Dark, traduit en français Aucun homme ni dieu, qui est diffusé sur Netflix depuis le 28 septembre 2018. Que vaut sa nouvelle réalisation ? Voici notre verdict. 

Ce thriller se déroulant dans un village paumé au fin fond de l’Alaska est tiré d’un roman de William Giraldi racontant l’enquête de Russell Core, un écrivain expert en loups (joué par Jeffrey Wright) qui est appelé par une femme (Medora Sloane, jouée par Riley Keough) pour traquer la bête qui a enlevé -et sans doute tué- son fils. Celui-ci veut profiter de ses recherches en Alaska pour renouer avec sa fille, mais son investigation se complique au retour du père de l’enfant disparu, Vernon (Alexander Skarsgard), qui revient de la guerre, blessé.

Le réalisateur profite de son sujet fortement symbolique pour signer un film ambitieux sur le fond et sur la forme. Visuellement, Hold the Dark est beau, Saulnier filmant avec autant de soin la nature hostile que les intérieurs sombres. Il propose aussi quelques prouesses de mise en scène, notamment une fusillade soudaine et violente, qui rappelle celles de Sicario ou de Wind River (tous deux signés Taylor Sheridan).

En jouant sur plusieurs niveaux d’interprétations, l’histoire est également prenante. Le comportement des loups est par exemple mis en parallèle avec celui du couple principal, et la solitude physique des villageois fait évidemment référence à celle de l’homme en général. Saulnier prend visiblement un malin plaisir à perdre son enquêteur -et ses spectateurs- dans ce monde hostile, glacial, ce qui lui permet d’interroger la frontière entre bestialité et humanité en suivant le parcours parallèle de deux êtres fuyant leur humanité, et de leur "chasseur", qui sera paradoxalement sauvé.

Alors que son héros plonge dans cette nature sauvage, l’esprit noyé de questions, on se laisse prendre par l’intrigue, cherchant à comprendre ce qui pousse les personnages à commettre de tels actes. Le film ouvre sur plusieurs pistes, laissant même entendre, avec le jeu des masques, que son duo principal pourrait véritablement se transformer en loups. Ce ne sera finalement que symbolique, mais cette thématique est forte, intrigante. Jusqu’à ce final difficilement compréhensible, qui brise instantanément cette tension jusqu’ici efficace.

Aucun homme ni dieu (Hold the Dark) : que signifie la fin ?

Attention, spoilers !
Lorsque le couple se retrouve, il accepte sa part animale et fuit dans la nature en laissant leur chasseur agonisant. Celui-ci est sauvé par les hommes, et revient alors à l’humanité en retrouvant sa fille, à qui il promet de raconter ce qu’il lui est arrivé. En posant des mots sur son histoire, il choisit donc définitivement sa part humaine, contrairement aux parents coupables d’infanticide, qui rejettent la parole pour laisser parler leur bestialité. Tout ceci n’explique malheureusement pas pourquoi la femme et son mari ont agi de la sorte, et il faut revenir au bouquin (ou aller chercher une explication sur le web) pour comprendre clairement qu’ils sont en fait frère et sœur et que leur enfant et né de l’inceste. Sans cet élément, le film passe malheureusement à côté de son sujet, et toute la symbolique mise en place perd en intensité. C’est d’autant plus frustrant que le réalisateur appuie cette absence d’explication en faisant demander à l’un de ses personnages si l’enquêteur "a compris" ce qui était en train de se jouer sous ses yeux. A trop vouloir créer du mystère, Jeremy Saulnier boucle son histoire de façon confuse, alors qu’il aurait suffi de pas grand-chose pour que son film tienne en haleine jusqu’au bout. Dommage.