Cannes Jour 2
ABACA / Amazon Studios / Pyramide

Tous les matins, entre le film, l'interview et la star du jour, le point à chaud en direct du 74e festival de Cannes.

Le film du jour : Le Genou d'Ahed

Y, un cinéaste israélien tourmenté, se paume dans le désert de l'Arava en rêvant de défier son pays avec un film sur la militante palestinienne Ahed Tamimi... Deuxième sélection cannoise (son deuxième long, L'Institutrice, était à la Semaine de la critique en 2014) pour Nadav Lapid qui livre (déjà) son Huit et demi, un film-miroir en mode pamphlet politique ultra rageur, théâtral, cérébral et désossé : la compétition officielle pour la Palme a pris un bon coup de Genou là où il faut.

La star du jour

Val Kilmer dans Val de Leo Scott et Ting Poo (Cannes Première)

Iceman, Jim Morrison, Batman, Doc Holliday et Simon Templar, dans un même corps. Si l’acteur est resté cloîtré chez lui, un doc à sa gloire façon (auto)portrait de l’artiste in situ, le restitue en chair et en bosses sur la croisette. Le film rend compte d’une vie qui en vaut cent. Icône glamour et acteur très impliqué des golden eighties jusqu’au mitan des nineties, le voici ici posé devant une montagne d’archives, à panser ses plaies (un cancer notamment...) sans se voiler la face. Val, de grâce !

Le docu fou sur Val Kilmer 

La phrase du jour : Bong Joon-ho en masterclass

"J’étais hanté par le tueur présumé de Memories of Murder, j’avais sur moi tout une liste de questions à lui poser. Le jour de son arrestation, j’étais abasourdi. J’ai mis deux jours à réaliser. J’ai voulu le rencontrer puis je me suis dit que c’était une mauvaise idée. Il y a beaucoup de rumeurs. Il a vu le film en prison mais il a trouvé ça bof, m’a dit un policier."

L’interview du jour : Frederick Wiseman, Carrosse d’or 2021

Wiseman

Errol Morris a dit un jour : «Fred aime les institutions comme Fellini aimait le cirque».
Ah ah. Erroll est vraiment très drôle, il a un excellent sens de l’humour.

Ceci dit, à Cannes vous êtes servis : il y a l’institution ET le cirque.
Ah oui, c’est vrai. Mais plus généralement la vie est un cirque, alors je ne suis pas trop dépaysé. Je vois où vous voulez en venir, et non : je ne ferai pas un film sur Cannes.

Je suis tombé sur une autre citation. Cette fois de vous : « politiquement, je suis entre Groucho, Harpo et Chico ».
Je suis beaucoup moins inspiré que Errol, c’est sûr. Je ne comprends même pas ce que ça veut dire…

Je pense que c’est à propos de la portée politique de vos films.
Hmmm. La seule chose qui m’intéresse c’est de regarder les comportements humains. Voire comment on se débat avec nos failles, nos manques ou nos interrogations. « L’institution » dont vous parlez me permet d’avoir un cadre. Géographique, social, anthropologique… Ca donne au fond une limite. Tout ce qui se passe dans le bâtiment ou dans la communauté appartient au film. Tout ce qui est dehors n’a rien à y faire.

Vous recevez le carrosse d’Or de la Quinzaine. Or cette année, en ouverture de la sélection on trouve Ouistreham...
… je l’ai pas vu.

Mais je voulais savoir si le cinéma d’Emmanuel Carrère, ses livres et particulièrement ce film qui…
Qu’est-ce qu’il fait lui ?

Justement, il mélange le réel et la fiction. Et je me demandais donc ce que vous pensiez de ces tentatives de cinéma hybrides…
Je crois vraiment que mes films sont des fictions. Le montage en tout cas est une mise en scène. Aucune séquence de mes films n’a la durée de l’événement que j’avais enregistré. La scène de nuit de Basic Training a nécessité cinq heures de tournage ! Et l’œil humain n’a pas les fonctionnalités d’une caméra : je ne peux pas vous voir en gros plan. Vraiment, je fais du cinéma parce que j’aime la fiction et cette différence entre d’un côté le documentaire et de l’autre la fiction n’a aucun sens… Law and Order est un film totalement fictionnel à mes yeux.

Vous ne ferez pas de film sur Cannes, mais est-ce que vous pourriez faire un film sur le covid ?
Non ! Je ne peux pas filmer à cause du masque. L’image des gens n’est pas intéressante. On voit les deux yeux et une partie du nez… C’est une catastrophe ! Ca ne m’intéresse pas : il manque toute l’expression.

Le coup de chaud

C'est le climax du film de Nadav Lapid : filmé en gros plan, Y, anti-héros du Genou d'Ahed, va balancer une philippique anti-israélienne hardcore, un slam infernal où ce cinéaste au bord de la crise de nerfs égrène les traits monstrueux de son pays en lui crachant au visage. Même si la salle n'a pas autant mordu que prévu au Genou d'Ahed : un silence glacial et un timide applaudissement. Quand même, c'était de taille à éclipser l'autre coup de chaud lié au film : avant la projo dans la salle (de taille moyenne) Bazin réservée aux journalistes, un confrère anglophone a tenté à voix haute de réveiller la foule d'accrédités en lançant le poing levé une "mass protest" (sic) pour que le Festival abandonne son nouveau système de réservation de projo pour revenir à celui d'avant. Résultat, le William Wallace de la Croisette a provoqué une indifférence quasi totale dans la salle. Beaucoup moins efficace que le coup de genou de Lapid.

La révélation du jour : Constance Meyer

Des années et des années que le cinéma français se casse les dents sur le problème : comment redonner à Gérard Depardieu sa superbe touten évitant de se faire dévorer par son charisme d'ogre ? Pour son premier long-métrage, Robuste, la réalisatrice Constance Meyer a fait le choix de diriger le monstre sacré dans un rôle méta (il joue un acteur vieillissant, casse-bonbon et épris de liberté) a priori TRÈS casse-gueule. Résultat : une redoutable comédie dramatique sur les corps hors normes et l'acceptation de soi, où Depardieu - enfin cadré - trouve son meilleur rôle depuis une éternité. Face à lui, Déborah Lukumuena (Divines) est aussi impeccablement dirigée. Vraiment robuste, Constance Meyer.

L’image du jour : Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin