Fight Club
Splendor Films

Le film de David Fincher, sorti en 1999, résonne toujours autant.

Sorti le 15 octobre 1999 aux Etats-Unis au milieu de critiques divisées, Fight Club s’est vite imposé comme une réussite cinématographique majeure. Portée par une équipe en état de grâce, l’épopée de Tyler Durden en disait long sur les doutes et les fantasmes de la fin du 20ème siècle. Pour fêter le retour du film culte de David Fincher à la télévision (rendez-vous dimanche à 23h05 sur France 2) revenons sur les raisons qui en font un chef d’œuvre unique.

En 1999, Brad Pitt et Edward Norton osaient parler de Fight Club dans Première

Parce qu’Edward Norton et Brad Pitt n’ont jamais été aussi bons
Narrateur anonyme à la voix off dépressive et au regard tourmenté, Edward Norton incarne brillamment un expert en assurances mal dans sa peau qui se met à éprouver des sensations fortes au contact de clubs de boxe clandestins. Choisi par David Fincher grâce à son rôle d’avocat dans Larry Flynt, l’acteur – 29 ans au moment du tournage de Fight Club - emmenait son physique de gendre idéal dans des zones d’inconfort et de folie qu’il ne retrouvera plus par la suite, pas même sous les traits de Hulk. Tour à tour effrayante et hilarante, la séquence où le personnage se bat avec lui-même dans le bureau de son patron résume bien l’hallucinante performance de Norton. Face à lui, Brad Pitt campe avec roublardise le dénommé Tyler Durden, gourou charismatique qui prône le retour à l’anarchie. Confrontant son image de beau gosse (il apparaît souvent torse nu et pectoraux à l’air) à des pulsions autodestructrices et nihilistes, le comédien s’amusait aussi à caricaturer son statut de star lorsque son personnage déclare que "la société nous ment en nous faisant croire que nous serons tous un jour des rocks stars ou des millionnaires." Bête de sexe, ange noir, pourfendeur des bonnes manières, Tyler Durden reste à ce jour le rôle le plus mémorable de Brad Pitt. Incarnant des faces opposées de la masculinité mais se plaignant chacun du désintérêt que leurs pères ont toujours manifesté à leur égard, les deux personnages de Fight Club symbolisaient à merveille le désenchantement ressenti à la fin des années 1990 par les trentenaires de la génération X.

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Parce que c’est une satire à double tranchant de la société de consommation
Appartement dont les meubles suédois finissent par former une prison, destruction de possessions matérielles en tous genres, fabrication de savons à base de graisse humaine ensuite revendus à de riches clientes ou dialogues acides visant les modèles esthétiques imposés par la publicité : reprenant la virulence satirique du roman éponyme de Chuck PalahniukFight Club offre son lot de séquences brocardant les mensonges sur lesquels repose la société de consommation. "Ce que tu possèdes finit par te posséder", affirme ainsi Tyler Durden au narrateur. Auteur d’American PsychoBret Easton Ellis a de fait vanté les mérites du film : "Fight Club s’insurge contre l’hypocrisie d’une société qui nous promet sans cesse l’impossible : la gloire, la beauté, la richesse, l’immortalité, l’absence de douleur." Pourtant le film - dans lequel une armée de molosses en viennent à attaquer les banques et les sociétés de crédit – ne livre pas un discours politique prémâché et montre comment le subversif Tyler Durden obéit lui aussi à une logique d’expansion de son empire en multipliant la création de clubs de boxe ("Planète Tyler" dira le narrateur en écho au "Planète Starbucks" des premières minutes). Surtout, le personnage incarné par Edward  Norton tente clairement de faire marche arrière lorsqu’il découvre à quel point il est impliqué dans les actes de vandalisme perpétrés contre le système économique. Plus qu’un brûlot anti-capitaliste, Fight Club relève donc surtout d’une réflexion sur la responsabilité individuelle et l’égarement identitaire. Selon David Fincher, qui cite l’influence du Lauréat (réalisé en 1967 par Mike Nichols), le film raconte avant tout le "rite de passage" vécu par un protagoniste qui subit les lois de la société et tente de construire sa liberté au prix de douloureux sacrifices qui le poussent à détruire une partie de lui-même.

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Parce que c’est le meilleur twist des années 1990
Après Usual Suspects de Bryan Singer en 1995, Seven et The Game (du même David Fincher) en 1996 et 1997 ou Sixième Sens de M. Night Shyamalan (sorti à l’été 1999), Fight Club venait s’inscrire dans la mode du film à twist qui oblige à reconsidérer tout l’ensemble du film à la lueur d’une révélation inattendue. Parti sur les traces de Tyler Durden aux quatre coins du pays, le narrateur se trouve soudain dans une chambre d’hôtel où Tyler lui confie qu’ils ne constituent qu’une seule et même personne. Au-delà de la puissance visuelle et sonore de la séquence, ce twist s’intègre si bien à la narration qu’il permet au film de nous tenir en haleine encore 30 minutes supplémentaires. Le temps pour le narrateur de remonter le fil des évènements, de prendre la mesure de toutes les conséquences affectives et morales suscitées par sa schizophrénie et d’associer à cette démarche le spectateur (qui a subi la même logique d’aveuglement et de déresponsabilisation en croyant voir en Tyler Durden un personnage réel). Grand cinéaste du simulacre et de la manipulation perverse des esprits (jusque dans son récent Gone Girl), David Fincher réinventait tout bonnement le film de complot, en montrant comment le commanditaire finit par devenir la propre victime de ses manigances au point de remettre en doute le concept même de réel (en cela, le film rejoint des œuvres comme Matrix ou ExistenZ sortis la même année). "Fight Club est un film ouvertement homo. Fight Club n'a rien d'un film homo. Fight Club est un film facho. Fight Club est un film libertaire. Fight Club se termine mal. Fight Club se termine bien", écrivait ainsi Jean-Yves Katelan dans Première à la sortie du film.

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Parce que c’est une grande comédie romantique
Décrit par son scénariste Jim Uhls comme une "comédie romantique" dans laquelle le narrateur et Marla Singer (Helena Bonham Carter) cherchent à entretenir une relation amoureuse "qui fonctionne pour eux car ils sont chacun au bord du gouffre psychologiquement"Fight Club évoque en effet d’entrée de jeu le rapport entre les deux personnages "Tout cela, le flingue, les bombes, la révolution, a un rapport avec une fille nommée Marla Singer" reconnaît ainsi le narrateur, qui s’est notamment inventé un double pour combler le manque de confiance qui l’habite dans ses échanges avec Marla, rencontrée dans des groupes de soutien pour cancéreux. Démarrant sur des mensonges (chacun se faisant passer pour un malade qu’il n’est pas), le film peut ainsi se lire tout entier comme une suite d’incompréhensions et de malentendus sentimentaux entre les deux personnages. La concordance des désirs est ainsi longtemps rendue impossible par le fait que le narrateur ignore qu’il forme un couple avec Marla et qu’il couche avec elle, croyant jalousement qu’elle entretient une relation avec Tyler Durden. D’abord agressif ("C’est ma maison, qu’est-ce que tu fous chez moi ?") puis fuyant la conversation lorsqu’elle lui demande ce qu’il entend par le mot "nous", le narrateur aura besoin de nombreuses épreuves initiatiques pour reconnaître enfin les sentiments qu’il nourrit à l’égard de Marla. La séquence finale, où le couple contemple des explosions en se tenant la main prend ainsi des airs de spectacle romantique, tandis que l’aveu d’Edward Norton "Tu m’as rencontré à un moment très étrange de ma vie" permet de repartir vers un nouvel horizon amoureux, malgré tous les tourments passés.

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Parce que c’est une miraculeuse anomalie industrielle
Produit par la 20th Century Fox pour un budget très confortable de 63 millions de dollars (dont 17,5 millions pour Brad Pitt), Fight Club offrait à David Fincher l'occasion de réaliser le film qu’il souhaitait (à titre de comparaison, le budget était de 30 millions pour Seven et de 50 millions pour The Game). Pouvant s’en donner à cœur joie sur les effets spéciaux (qui brillent dès le générique d’ouverture situé à l’intérieur du cerveau dérangé du narrateur) et les effets de mise en scène, le cinéaste signait là un objet unique, sorte de blockbuster aux airs grinçants et à l’esprit macabre. Bénéficiant d’une liberté totale, l’équipe du film a notamment glissé une image subliminale de pénis dans la dernière séquence (après quatre autres images du même type préparant l’arrivée de Brad Pitt au début du récit). Clin d’œil direct au métier de projectionniste pratiqué par Tyler Durden et rappel du fait que le spectateur impuissant se trouve sous la coupe d’un film qui peut être piraté de l’intérieur, ce plan participe à la jovialité ironique qui a entouré la conception de Fight Club. Mais ce projet si inclassable s’est heurté à un département marketing étroit d’esprit qui a refusé de vendre le film comme l’entendait le cinéaste (qui avait notamment imaginé deux spots sous forme de message d’utilité publique). Fight Club a ainsi subi un semi-échec aux Etats-Unis, sur lequel David Fincher est revenu dans le magazine Première de septembre 2014 : "Le tournage s’était très bien passé, j’avais le soutien indéfectible de Laura Ziskin et Bill Mechanic. C’est quand le film a été vu par le département marketing que l’ambiance s’est mise à changer. Ils ont commencé à s’arracher les cheveux : 'Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?!? C’est totalement homo-érotique ! Les hommes ne veulent pas voir Brad Pitt torse nu !! Les femmes veulent le voir torse nu, OK, mais pas la gueule ensanglantée !!!' Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Comment avait-on pu en arriver là ? J’avais eu le feu vert, j’avais été honnête sur mes intentions, je n’avais pas essayé de jouer un double jeu. Et les petits génies du marketing – des gens d’un orgueil démesuré – n’ont pas su vendre le film. Ils ont conçu des publicités destinées aux amateurs de catch… Leur grand malheur, au final, c’est que le film a fini par trouver son public en DVD. C’était la preuve irréfutable qu’ils s’étaient plantés." En France, Fight Club avait honorablement dépassé le million d’entrées à sa sortie. S’il est difficile d'imaginer qu'une œuvre aussi iconoclaste puisse être produite aujourd’hui à Hollywood, on pourra toujours se consoler avec la suite de Fight Club, parue en 2016 sous forme de... BD.

 


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