Je veux juste en finir
Netflix

Charlie Kaufman adapte un polar terrifiant et s’enfonce progressivement dans les territoires Lynchiens. Un chef d’œuvre ? Peut-être bien.

Lorsqu’on la découvre, au détour d’un chromo hivernal saisissant de joliesse, elle est pourtant en pleine crise. Elle veut en finir, comme dit le titre. Mais en finir avec quoi, au juste ? Probablement de sa relation avec Jake, bon gars, cultivé et rigolo, qui a quand même cette tendance à s’écouter un peu trop parler. Un petit travers à découvrir durant la première demie-heure du film, où claquemuré dans l’habitacle d’une bagnole qui le conduit chez ses parents, il évoquera en vrac sa fascination pour le poète anglais William Wordsworth, les musicals kitschs de Broadway et les insectes suicidaires. Elle l’écoute, vraiment, participe même à la conversation, sauf qu’elle n’est pas vraiment là. Sa voix-off le martèle : elle veut en finir. Tout court. Adieu les cons ; c’est l’époque qui doit vouloir ça.

Le grand sujet récurrent, inévitable, de celui qui a imaginé Dans la peau de John Malkovich, la dépression, est donc rapidement déposé sur le bord de la route. Il va s’infiltrer dans le moindre silence, le plus mince des temps morts puis contaminera peu à peu tout un paysage déjà bien brumeux et enneigé. C’est du Kaufman pur jus mais débarrassé de toute fièvre conceptuelle et magnifiquement habillé en 1.33 par le chef op de Cold War. Un détail froisse cependant : pourquoi ces petites joutes entre jeunes gens las et intellos sont elles entrecoupées de vignettes où un vieux concierge récure de fond en comble un grand lycée désert ? Et pourquoi ledit lycée est-il shooté comme l’hôtel Overlook de Shining ? C’est la rampe de lancement vers un tout autre film qui va débuter dès lors que la voiture arrivera à destination. 

Jessie Buckley et Charlie Kaufman sur le tournage de Je veux en finir
Jessie Buckley et Charlie Kaufman / Netflix

Vont débouler en vrac David Thewlis, des couloirs quantiques, une obsession pour les crème glacées et une fausse rom’com signé Robert Zemeckis. Le road-movie en ligne droite et pneus neige va ainsi virer au grand huit ésotérique peu avare en loopings polansko-lynchiens. Ca peut secouer fort, à tel point que certains quitteront le manège avant la ligne d’arrivée, mais ça ne surprendra pas ceux qui avaient lu « Je sens grandir ma peur », stupéfiant thriller mental signé Ilan Reid. Un livre très court, à peine 200 pages, qui a donné un film assez long, 2H15. Une dilatation du temps qui permet à Kaufman d’en livrer une version très fidèle à ceci près que toutes les scènes de trouille figurant dans le derniers tiers du récit ont été remplacées par de splendides numéros musicaux.

Ça peut paraitre complètement farfelu, ça l’est d’ailleurs, mais ça a aussi le mérite de bien raconter l’ambition de l’auteur: mettre l’étrange au service du sensible, de la grâce. On n’en attendait pas moins de ce garçon à la fois très cérébral et très fleur-bleue, sauf qu’on ne l’imaginait pas forcément à la tête d’un projet à ce point guidé par sa seule vista de metteur en scène. Ici le récit vagabonde, les conversations durent toujours un peu trop et les chevilles narratives explosent d’une séquence à la suivante. Une fois qu’on essaie de remettre les choses à plat, il ne reste plus que des intuitions, des vignettes et des sensations, c’est à dire du cinéma. Lorsqu’on la quitte, c’est une vieille dame, applaudissant à tout rompre son Jake, qui vient encore d’exécuter son petit numéro de soliste, devant une salle comble cette fois. Elle semble en a avoir fini pour de bon. Il va simplement falloir remettre le film du début pour bien s’en assurer.