Sandra Hüller- festival de Cannes 2023
Shootpix/ Abaca

Juste avant les Oscars, la chaîne programme quatre films marquants de sa carrière : Toni Erdmann, Amour fou, Requiem et Une Valse dans les allées.

Vous avez aimé Sandra Hüller dans Anatomie d'une chute ? Vous devriez l'adorer dans Toni Erdmann ou bien L'Amour fou !

C'est le pari fait par la chaîne franco-allemande Arte, qui propose de (re)voir gratuitement quatre films majeurs de la comédienne avant son possible sacre, ce dimanche aux Oscars. Quelques jours après avoir triomphé aux CésarAnatomie d'une chute est en effet en lice pour cinq statuettes, dont celle de la meilleure actrice.

Voici la présentation des quatre films proposés : Toni Erdmann, Amour fou, Requiem et Une Valse dans les allées, accompagnées de la critique de Première. Pour accéder au cycle Sandra Hüller sur le site d'Arte, cliquez ici.

Anatomie d'une chute : Scène de sexe coupée et culpabilité, Sandra Hüller dit tout !

Requiem de Hans-Christian Schmid (2006)

L'histoire : Michaela, jeune étudiante élevée dans un milieu catholique et bourgeois, s'imagine qu'elle est possédée par des démons.

L'avis de la rédaction : Aux antipodes du très hollywoodien L’Exorcisme d’Emily Rose (Derrickson, 05), qui s’inspirait des mêmes événements, ce film retrace avec une rigueur quasi clinique le cas d’une jeune Allemande morte d’épuisement dans les années 70, après avoir subi une série d’exorcismes pour soigner ce qui, au départ, n’était que de l’épilepsie. Un environnement fortement religieux, ajouté à un contexte familial étouffant, a probablement favorisé la psychose de ce personnage incarné avec un réalisme douloureux par l’impressionnante Sandra Hüller.

Cannes 2023- Rencontre avec Sandra Hüller, l'héroïne d’Anatomie d'une chute et The Zone of interest

Amour fou, de Jessica Hausner (2015)

L'histoire : Berlin, à l’époque romantique. Le jeune poète tragique Heinrich souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l’amour: il tente de convaincre sa cousine Marie, qui lui est proche, de contrer le destin en déterminant ensemble leur suicide, mais Marie, malgré son insistance, reste sceptique. Heinrich est déprimé par le manque de sensibilité de sa cousine, alors qu’Henriette, une jeune épouse qu’Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable. Une «comédie romantique» librement inspirée du suicide du poète Heinrich von Kleist, 1811.

L'avis de la rédaction : Auteur de drames minimalistes révélant des vérités dissimulées derrière les conventions, la réalisatrice livre sa libre interprétation du romantisme absolu à la Heinrich von Kleist avec une économie de moyens — décors hiératiques, costumes minimalistes — et un sens des cadrages donnant aux plans séquences l’aspect de tableaux fragiles.

Si l’on pense souvent à Éric Rohmer (qui signa l’adaptation de "La Marquise d’O…", de von Kleist) et à Michael Haneke (dont Jessica Hausner fut l’élève et la scripte), le plus étonnant est sans doute que ce film sur l’amour flirte avec l’absurde. Dans un monde en train de disparaître, la question des apparences et des croyances donne ici lieu à un jeu de massacre doux et feutré.


Justine Triet : "Aux Etats-Unis les gens pensent que Sandra est coupable"

Toni Erdmann, de Maren Ade (2016)

L'histoire : Quand Ines, femme d’affaire d’une grande société allemande basée à Bucarest, voit son père débarquer sans prévenir, elle ne cache pas son exaspération. Sa vie parfaitement organisée ne souffre pas le moindre désordre mais lorsque son père lui pose la question « es-tu heureuse? », son incapacité à répondre est le début d'un bouleversement profond. Ce père encombrant et dont elle a honte fait tout pour l'aider à retrouver un sens à sa vie en s’inventant un personnage : le facétieux Toni Erdmann…

L'avis de la rédaction : Winfried Conradi (joué par un impressionnant acteur autrichien, Peter Simonischeck) est un vieux monsieur facétieux qui fait des blagues tout le temps mais qui a raté l’essentiel : sa fille. Cette femme d’affaires établie à Bucarest est distante et malheureuse, Winfried le sent et va tout faire pour la sortir de son impasse existentielle. Il va « s’inviter » à Bucarest et semer la pagaille dans la vie très organisée d’Ines en s’inventant le personnage de Toni Erdmann, un vieux beau portant perruque et dentier apparent. C’est le début d’une histoire assez incongrue qui voit la fiction envahir le réel (Winfried multiplie les apparitions grotesques lors de rendez-vous importants d’Ines) pour un résultat d’une prodigieuse évidence : Toni Erdmann est au fond le portrait d’un papa qui ré-enchante le quotidien pour sa petite fille dont le contrôle n’est que la manifestation de sa peur d’affronter la vie, les gens et d’admettre que son travail de conseil en restructuration d’entreprises est d’un cynisme effrayant.

Une actrice en état de grâce
De l’émotion, du rire, de l’amour. En 2h42 (oui, c’est long mais on ne s’ennuie pas une seconde), Toni Erdmann se présente comme un condensé de vie, une pilule euphorisante qui donne à reconsidérer l’essentiel. Naïf ? Peut-être. Maren Ade, remarquée pour Everyone else qui brouillait déjà les pistes du conformisme (amoureux), n’est pas dupe. Elle ne cherche pas à convaincre mais à modifier notre regard sur un monde occidental obsédé par la performance et le résultat. Toni Erdmann est en cela proche de Victoria, l’autre film cannois (mais à la Semaine de la critique) qui ausculte les effets pervers du capitalisme économique et social à travers le portrait d’une femme à la dérive. Car le sujet du film est bien ici Ines, cette self-made-woman incapable d’empathie, qui oblige son amant à se masturber devant elle ou qui refuse à son père le droit de l’aimer. Parfaite inconnue chez nous, Sandra Hüller, grande blonde un peu froide, livre une prestation incroyable qui culmine dans deux séquences mémorables où elle doit à la fois faire preuve d’une totale impudeur et d’une forme de maîtrise d’elle-même.


Et Maren Ade créa Toni Erdmann

Une Valse dans les allées, de Thomas Stuber (2018)

L'histoire : Le timide et solitaire Christian est embauché dans un supermarché. Bruno, un chef de rayon, le prend sous son aile pour lui apprendre le métier. Dans l’allée des confiseries, il rencontre Marion, dont il tombe immédiatement amoureux. Chaque pause-café est l’occasion de mieux se connaître. Christian fait également la rencontre du reste de l’équipe et devient peu à peu un membre de la grande famille du supermarché. Bientôt, ses journées passées à conduire un chariot élévateur et à remplir des rayonnages comptent bien plus pour lui qu’il n’aurait pu l’imaginer…

L'avis de la rédaction : Cherchez bien. Au cœur de l’été se trouvent parfois quelques pépites (trop) bien cachées. C’est le cas de cette petite merveille venue d’Allemagne. Une drôle d’histoire d’amour dans un drôle de lieu pour un drôle de film. Christian a 27 ans. Timide et solitaire, il vient de perdre brutalement son emploi sur un site de construction et trouve un travail dans un univers totalement nouveau pour lui : un supermarché. Sur place, un chef de rayon le prend sous son aile et lui apprend les rudiments du métier. Mais, surtout, dans le coin confiseries, il fait la connaissance de Marion, dont il tombe instantanément amoureux…

L’amour, le travail, l’amitié, la dépression, la mort, voilà pêle-mêle les thèmes que brasse Une valse dans les allées avec une fluidité bouleversante et cet art de se confronter aux choses rudes de la vie tout en guettant la lumière au bout du chemin. Grâce à une narration à la simplicité qui fait mouche, à l’amour infini de son réalisateur pour ses personnages et à une mise en scène qui sait distiller de l’onirisme dans le quotidien le plus banal. Trois qualités auxquelles il faut ajouter le talent d’un duo de comédiens renversants de sensibilité : Franz Rogowski, déjà impressionnant voilà quelques semaines dans Transit et Sandra Hüller, inoubliable interprète de Toni Erdmann. Au fil du récit, on pense beaucoup à Aki Kaurismäki Wes Anderson et Roy Andersson. Des influences que Thomas Stuber a su faire sienne pour délivrer ce film à l’originalité terriblement attachante.


Justine Triet nous raconte l'aventure d’Anatomie d’une chute