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Ultime épisode de la demi-saison projetée en ce printemps 2014, le superbe Waterloo met en place un véritable champ de bataille. Au bout d'une lutte de pouvoir qui fait plusieurs fois référence à Napoléon, une lueur d'espoir se fait ressentir mais laisse Don Draper dans le doute avant la dernière ligne droite. Attention spoilers.

Mad Men saison 7 de la série = Review de l'épisode 7 : Waterloo. Attention spoilers.L’épisode 6 s’achevait sur une image de Don, Peggy et Pete formant une famille symbolique à la table d'un fast-food. Dans l’épisode 7, qui se déroule à la fin du mois de juillet 1969 au moment du premier pas de l’homme sur la Lune, il s'agit de voir si cette nouvelle famille peut affronter les épreuves et se serrer les coudes. Car le dernier acte de cette demi-saison transforme d'emblée l'agence SC&P en champ de bataille et dresse plusieurs obstacles sur la route de Don Draper.Apprenant en effet par une lettre que Jim Cutler propose son licenciement, Don voit rouge et surgit dans le bureau de Jim. Celui-ci affiche alors tout son mépris envers le héros de Mad Men : « Je ne vous trouve pas du tout impressionnant. Vous n’êtes qu’un gamin et un ivrogne. Un joueur de football en costume ». Face à cette véritable déclaration de guerre, Don contre-attaque en convoquant manu militari les associés dans les couloirs de l'agence. S'il découvre que Joan Holloway souhaite elle aussi son licenciement, Draper est sauvé in extremis par les votes favorables de Roger Sterling, Pete Campbell et Bert Cooper, mais il sent bien que l'orage ne fait que commencer. Alors qu'il confie ses tourments par téléphone à Megan et émet au passage son désir de voir avec elle La Horde sauvage (titre qui fait écho au déchaînement de violence et d’animosité que le publicitaire vient d'essuyer de la part de Jim Cutler), Don se voit finalement éconduit par son épouse, qui concrétise la rupture qui pendait au nez du couple depuis plusieurs mois.Une conversation entre Roger Sterling et Bert Cooper, les deux pionniers de l'agence, place ensuite la notion de commandement au centre de Waterloo. Evoquant Don, Cooper rappelle qu' « aucun homme n’est revenu après être parti, pas même Napoléon. Il a fait un coup d’Etat mais a fini sur une île ». Inapte à jouer les premiers rôles, Draper est désavoué par le vieux sage, qui dit pourtant refuser son licenciement par loyauté. Et Cooper d'annoncer à un Roger vexé que l'agence a besoin d'un leader qui a « une vision » et que seul Jim Cutler correspond selon lui à ce profil.Ignorant tout des discussions entre Sterling et Cooper, Don se recentre autour du fameux noyau affectif formé dans le précédent épisode. Présent à Indianapolis pour rencontrer les représentants de Burger Chef, il assiste ainsi aux premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune dans une chambre d'hôtel en compagnie de Peggy, Pete et Harry, tandis que les autres personnages de la série (comme Roger ou Sally) observent l’évènement en famille. Lors de cette nuit historique qui prend des allures oniriques et surnaturelles, les liens ont l'occasion de se renforcer : quand Don apprend de la bouche de Roger que Bert Cooper vient de décéder (« à chaque fois qu'un vieil homme parle de Napoléon, on peut être sûr qu'il va bientôt mourir », lance Sterling) et que son maintien au sein de l’agence est menacé, il charge à la dernière minute Peggy de la présentation du lendemain et cède sa place tel un père de substitution qui lèguerait son héritage. La solennité des premiers pas sur la lune, doublée de la conscience que l'Amérique entre dans nouvelle ère, accentue l'aspect dramatique et crépusculaire du geste de Don, qui prépare déjà sa protégée à l'éventualité d'un monde dont il sera absent.

« La Lune appartient à tout le monde »

Mise en confiance par Don, Peggy réussit une présentation de haut niveau face aux pontes de Burger Chef en réinscrivant son discours dans le contexte du triomphe de la mission lunaire d'Apollo 11. La jeune femme insiste sur le plaisir de connexion entre les êtres qui fut ressenti pendant que le monde entier regardait la même chose au même moment (ce qui rappelle l’épisode 12 de la saison 3, où tous les protagonistes étaient rivés à leurs téléviseurs suite à l'assassinat de John F. Kennedy). Selon les mots de Peggy, la force de ce lien doit se retrouver dans les restaurants Burger Chef, lieux où la famille peut se réunir loin des angoisses du linge sale, du téléphone qui sonne et des informations sur la guerre du Vietnam qui tournent en boucle. On sent bien que Peggy, à travers les regards échangés avec Don, désigne aussi à travers ce « nouvel endroit » une autre zone, formée par la relation de compréhension mutuelle qu'ont su créer les deux personnages.De fait, la sérénité du lien entre Don et Peggy va porter ses fruits. Piqué au vif par le décès de Bert Cooper, Roger Sterling s’est démené pour que SC&P intègre le grand groupe McCann-Erickson, ce qui signifierait une nette augmentation de revenus pour chacun des associés et la possibilité de contrecarrer les plans de Jim Cutler en gardant Don Draper à bord. Lors d’une réunion à suspense où sont réunis les partenaires (dont Ted Chaough), Roger prend finalement le rôle de leader et tous approuvent cette nouvelle mutation de l’agence qui oblige chacun à rester au moins cinq ans dans le giron de McCann-Erickson. La séquence s’achève même sur une note comique lorsque Jim Cutler, motivé par l'avidité, finit par voter contre sa propre position, façon de montrer que le contre-pied et l'ironie restent des armes inhérentes à la série. Dans la foulée, une dernière accolade entre Don et Peggy souligne que les deux protagonistes constituaient bel et bien les figures centrales de cette demi-saison. Si l'épisode semble s'achever sur plusieurs succès professionnels (la conquête de Burger Chef, le maintien de Draper dans l'agence), son titre demeure Waterloo (défaite napoléonienne) et non Austerlitz. Comparé par Cooper à Napoléon, Don a-t-il vraiment gagné quelque chose dans cet épisode où Megan l'a quitté ? Le héros de Mad Men devra en tout cas continuer à batailler dans la dernière demi-saison, notamment au sujet de ses enfants : l'épisode a en effet montré à quel point Sally Draper était entrée dans une nouvelle phase, elle qui se met à se maquiller et dont la libido s’avère débordante lorsqu’elle embrasse un jeune garçon à la belle étoile.Comme l'avaient prédit de nombreux fans, le premier pas de l’homme sur la Lune marque un tournant décisif dans la série de Matthew Weiner. La mort de Bert Cooper a par exemple instauré un sentiment de douceur apaisée, son dernier mot étant un « bravo » adressé à la phrase « C’est un petit pas pour l’homme mais un grand pas pour l’humanité », comme s’il félicitait là le meilleur slogan publicitaire jamais entendu. Voyant un rêve d’enfant se réaliser (l’épisode s’était ouvert sur Cooper émerveillé devant le départ d'Apollo 11), le doyen de la série atteint une forme d’accomplissement spirituel et peut laisser derrière lui un héritage fait d’esprit d’initiative et de légèreté. C’est le sens de la magnifique dernière séquence, dans laquelle Don aperçoit le fantôme de Cooper, lequel se met soudain à chanter et à danser entouré de jeunes filles. Ce moment digne d'une comédie musicale constitue un hommage éclatant à l'interprète de Bert Cooper, Robert Morse, qui a mené une grande carrière à Broadway et fut récompensé en 1962 d'un Tony Award. Mais la séquence permet aussi de transfigurer la mort et l'abandon en un mouvement joyeux. Invité par la chanson The Best Things In Life Are Free (entendue pour la première fois en 1927 dans le spectacle Good News) à comprendre que « la Lune appartient à tout le monde » et que « les meilleurs choses dans la vie sont gratuites », Don, ému aux larmes, est sommé de remettre en question l'appât du gain et l'individualisme forcené dont il a souvent fait preuve. Les meilleures choses, qui semblent désigner dans la bouche de Bert la capacité d'émerveillement et le sentiment amoureux, resteraient donc à conquérir pour le personnage. Si la solitude de Don dans le plan final dégage une sensation de désenchantement, une forme d'allégresse a cependant été transmise par le spectre de Bert. Reste maintenant à voir si cette décontraction gagnera également les sept ultimes épisodes Mad Men, programmés en 2015, ou si la chanson de Cooper ne représentait qu’une pause passagère avant le triomphe du chaos et du désespoir.

Damien Leblanc 

Proposée aux Etats-Unis sur AMC, Mad Men est diffusée en France sur Canal+ et Série Club.