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Carton en salles et gagnant surprise des César diffusé ce soir sur France 3, le film et son réalisateur sont aujourd'hui au cœur d'une polémique avec un autre film césarisé, Fatima.

Les garçons et Guillaume, à table !, c'est avant tout l'histoire d'un conte de fées, celui d'un succès surprise en salles qui finit par mettre main basse sur la cérémonie des César il y a deux ans. La soirée de la consécration pour Guillaume Gallienne, qui adaptait là pour son premier long-métrage comme réalisateur son propre spectacle, dans lequel il exprime ses souvenirs de jeune homme persuadé, notamment par l'éducation qu'il reçut de sa mère, qu'il était homosexuel.

Avec 2,8 millions d'entrées en salles, le film fut l'un des grands succès de la fin d'année 2013 en salles, dépassant de loin toutes les estimations et tous les espoirs. La consécration du film arriva quelques mois plus tard puisqu'il repartir de la cérémonie des César 2014 avec dix nominations et au final cinq prix. En s'adjugeant ceux du Meilleur Film, du Meilleur acteur, de la Meilleure première œuvre et de la Meilleure adaptation, Guillaume Gallienne devint la première personnalité du cinéma français à repartir avec quatre trophées dans la même soirée.

Deux ans plus tard, Les garçons et Guillaume, à table ! et son réalisateur ont refait parler d'eux ces derniers temps, mais pour des raisons autres qu'artistiques. Depuis un mois environ, une polémique oppose le grand vainqueur des César 2014 à celui des César 2016, Philippe Faucon et son Fatima, lauréat de la récompense suprême du cinéma français il y a quelques semaines. Sa rediffusion ce soir sur France 3 tombe donc au moment opportun pour refaire le point sur le statut paradoxal qu'a acquis le film au cours des dernières semaines.

Les garçons... / Fatima, les propos polémiques

Tout a commencé sur les antennes de RTL le 6 mars dernier. Invité du Journal Inattendu de Marie Drucker, Guillaume Gallienne s'est exprimé à l'époque sur la cérémonie des César qui s'est tenue quelques jours plus tôt, le 26 février. L'occasion pour lui de lancer un message à l'intention du grand gagnant de la soirée :

"J'ai été heureux pour plein de prix, après je m'interroge quand même sur le choix de la famille du cinéma français à vouloir tout le temps prôner la diversité culturelle et tout ça. Parfois je ne sais pas à quel point le moteur de tout cela est artistique ou politique. J'adore Philippe Faucon et cette actrice [Sonia Zeroual] m'a bouleversé. Je ne l'ai pas encore vu le film, je ne vise personne mais je me rends compte que dans le panel, la question se pose".

César 2016 : Guillaume Gallienne s'étonne de la victoire de Fatima, qu'il n'a pas vu

En somme, Gallienne reproche ici en filigrane à l'Académie des César d'avoir priviliégié l'aspect politique du film de Philippe Faucon au détriment de ses qualités esthétiques, pourtant déjà couronnées notamment par le Prix Louis-Delluc quelques semaines plus tôt.


Des réponses cinglantes

La réponse de Faucon ne s'est pas faite attendre et survient dès le samedi suivant sur le plateau d'On n'est pas couché. Face à Laurent Ruquier et à ses chroniqueurs Léa Salamé et Yann Moix, le cinéaste rendait la monnaie de sa pièce à son confrère : "On n'a pas les mêmes points de vue artistiques, Guillaume Gallienne et moi. Quand il dit ça, il exprime un ressenti, une incompréhension d'une partie de l'establishment français du cinéma qui a du mal à comprendre qu'un film comme Fatima ait pu réunir le nombre de voix qui lui a permis d'avoir le César du meilleur film (...) Il aurait le droit de s'interroger en ayant vu le film".

"Guillaume Gallienne aurait le droit de s'interroger s'il avait vu le film"

Le cinéaste en rajouta d'ailleurs une couche dans une interview accordée à nos confrères de Studio Ciné Live dans leur dernier numéro. Interrogé à propos de la polémique, le cinéaste ne se pria pas en retour pour dire tout le bien qu'il pense du film de Guillaume Gallienne : "Je crois que Guillaume Gallienne s'est fait l'expression d'une certaine suffisance de caste d'une partie du cinéma français établi, qui pense être détenteur unique de la connaissance de ce qu'est l'art du cinéma ou de ce que souhaite voir le public. […] L'argument du politique qui prime sur l'artistique n'est qu'un mauvais alibi, assez risible dans la bouche de l'auteur d'un film comme Les garçons et Guillaume, à table !, que j'ai vu, qui n'est quand même rien d'autre que la transposition à peine scénarisée d'un spectacle assez moyen et répétitif".

Philippe Faucon ne fut pas le seul à réagir suite à ces propos puisque plusieurs autres figures du cinéma français se sont manifestées pour prendre position sur cette affaire. Ce fut le cas notamment de Sandrine Kiberlain, qui à l'antenne de l'émission C à vous le 23 mars dernier. Sur le plateau d'Anne-Sophie Lapix, l'actrice césarisée pour Neuf mois ferme la même soirée que Les Garçons..., avait rejoint les critiques de Philippe Faucon : "Je regrette que Guillaume Gallienne ne soit pas là pour le voir avec vous, comme ça il aurait pu avoir aucun doute sur le fait qu'il mérite son César du meilleur film. Les deux actrices, qui ne sont pas que des femmes, sont sublimes dans le film. Il va le voir, mais ç'aurait été mieux de le voir avant d'en parler. Surtout en en parlant comme ça...".


À l'inverse, le cinéaste-acteur reçut le soutien (à demi-mot) notamment de Daniel Auteuil, qui déclara au micro d'Europe 1 le 11 mars dernier : "Je pense qu'il a voulu dire quelque chose qui a été mal interprété. Il a voulu dire sûrement que ce n'est pas que forcément artistique et que des fois on a envie de donner des prix pour d'autres raisons qui sont très honorables. J'imagine... Enfin j'essaye d'arranger les choses. […] Mais je le suis là-dessus... tout doucement".

L'arroseur arrosé

Les propos de Guillaume Gallienne surprirent d'autant plus qu'au soir des César, le triomphe des Garçons et Guillaume, à table ! était apparu comme l'énorme surprise de la soirée. Le film avait alors coiffé au poteau les deux grands favoris de la cérémonie qu'étaient La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche et L'inconnu du lac d'Alain Guiraudie, le premier surfant sur l'aura de sa Palme d'Or cannoise et le second par ses multiples nominations dans les festivals du monde entier. Si le résultat de la soirée en avait déboussolé certains, il n'avait cependant pas à l'époque provoqué de procès d'intention comme ce fut le cas pour Fatima.

D'autant plus que s'il reçut un accueil critique chaleureux à l'image de celui de Première ("Anxiogène et hilarant, entre autoanalyse burlesque et règlement de comptes attendri, le film a la grâce comique et la justesse des premiers Woody Allen. Mais c’est surtout la performance démente de Gallienne, dans son propre rôle et dans celui de sa mère, qui impressionne. À la fois victime et bourreau, auguste et clown blanc, masculin et féminin, il livre une double prestation qui crée un trouble étonnant"), Guillaume Gallienne a sans doute oublié que son film profita également d'un contexte politique particulier à sa sortie en salles au moment de la cérémonie des César. Bien que racontant l'histoire d'un "coming-out hétéro", Les garçons... fut présenté au Festival de Cannes le 20 mai 2013, trois jours après la promulgation de la loi sur le mariage homosexuel en France.

Au risque de vouloir mettre un coup de pied dans la fourmillière, Guillaume Gallienne s'est donc retrouvé dans la situation de l'arroseur arrosé. Car après tout, si les membres de l'Académie des César avaient suivi ses propos à la lettre, Les garçons et Guillaume, à table ! n'aurait sans doute récolté aucun de ses cinq César...

L'histoire des Garçons et Guillaume, à table : « Le premier souvenir que j’ai de ma mère c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle, mes deux frères et moi, pour le dîner en disant: «Les garçons et Guillaume, à table!» et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en me disant: «Je t’embrasse ma chérie»; eh bien disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus.»


Les garçons et Guillaume, à table! est diffusé ce soir à 20h55 sur France 3.