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Sommet de virtuosité de Brian de Palma, la séquence d'ouverture de Snake Eyes est un prodige de mise en scène que l'on doit en grande partie au talent de Larry McConkey.

Polar conspiraitonniste à l'ambiance sulfureuse comme les aime Brian de Palma, Snake Eyes est un film révélateur de la filmographie du cinéaste. Baignant comme toujours dans les obsessions hitchcockiennes du réalisateur (en premier lieu La corde ici pour son goût des très longs plans-séquences), Snake Eyes reste un film mal aimé, qui souffrit à sa sortie en salles de la comparaison avec le succès dont vient de sortir De Palma (Mission : Impossible).

Il est cependant un point sur lequel le film fit l'unanimité : la virtuosité de sa séquence d'ouverture, qui reste encore aujourd'hui le grand moment de bravoure du film. On peut y voir Rick Santoro, un inspecteur ripou qui se ballade dans les coulisses d'un grand hôtel qui s'apprête à accueillir le combat de boxe du siècle. Un combat au cours duquel le secrétaire d'État à la défense est mystérieusement assassiné dans le public...


Caractéristique du goût de Brian de Palma pour les tracking shots, ces travellings suivant un personnage en mouvement (Carrie et L'impasse en proposent notamment des fameux), elle doit aussi énormément au travail de Larry McConkey. Travaillant depuis plus de trois décennies dans l'ombre des directeurs de la photographie, McConkey est un de ces orfèvres qui a apposé sa patte à quelques monuments de l'histoire du cinéma américain.

Véritable légende de la Steadicam (ce système de stabilisation de prise de vues permettant de faire des plans en mouvements stables), McConkey a signé quelques-uns des plans séquences les plus cultes du genre. On lui doit en effet les scènes de poursuite de L'impasse, la séquence du restaurant de Kill Bill, et surtout l'incroyable plan-séquence du nightclub Copacabana des Affranchis. Avec celle du film de Martin Scorsese, la séquence d'ouverture de Snake Eyes reste l'une des plus belles preuves du savoir-faire de McConkey.

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Contrairement à l'idée que l'on peut s'en faire, la séquence d'ouverture de Snake Eyes n'est pas un plan-séquence, bien qu'il en donne l'apparence. Sur les plus de douze minutes qui la constituent, on compte en effet huit points de coupe astucieusement dissimulés comme le relève le site Steadishots. Comme pour de nombreux films reposant entièrement ou partiellement sur un plan-séquence d'une durée aussi imposante, De Palma et Larry McConkey (ainsi que Stephen H. Burum, directeur de la photographie du film avec lequel McConkey a collaboré à de nombreuses reprises) recourent à une succession de stratagèmes de mise en scène, principalement en dissimulant les transitions par des mouvements de balayage panoramique rapides ou en faisant rapidement passer un obstacle au premier plan.

Ces "raccords invisibles" n'enlèvent cependant en rien la virtuosité de la séquence, qui repose essentiellement sur les prouesses réalisées par le Steadicam de Larry McConkey, qui donne une impression de tourbillon à l'ensemble des rencontres de Rick Santoro dans les coulisses du gala de boxe. D'une vivacité folle, la séquence donne qui plus est l'occasion à un Nicolas Cage toujours déchaîné de laisser libre cours à sa flamboyance légendaire en le lâchant dans un espace immense qu'il s'accapare à lui tout seul.

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Il en résulte un plan aussi virtuose et naturel que difficile à réaliser techniquement, la caméra n'hésitant pas à traverser des couloirs bondés, à passer devant des moniteurs de caméras de télévision, à changer d'angle de prise de vue (comme lors du tabassage de Cyrus, interprété par Luis Guzman) et surtout à gravir et descendre des escaliers à plusieurs reprises. Dans le dossier spécial que consacra les Cahiers du Cinéma au Steadicam en février 2015, l'opérateur Loïc Andrieu résumait en ces termes le tour de force accompli par Larry McConkey et Brian de Palma avec cette séquence.

"[Larry] McConkey a filmé les plans les plus construits de l’histoire du steadicam. Il écrit toujours ses images avec plusieurs niveaux de lecture. Le premier est pour le grand public : c'est l'euphorie du mouvement. Le deuxième est pour les critiques : le plan est parfaitement mis en scène, on y comprend toute les relations entre les personnages et entre les espaces. Et le troisième niveau ne concerne que les cadreurs. Quand tu pratiques l’art du steadicam, tu sais que monter de profil deux séries d’escaliers comme il le fait dans le plan d’ouverture de Snake Eyes est extrêmement difficile. Il le fait avec une virtuosité incroyable. C’est comme un skateur qui rentre un trick."

L'histoire de Snake Eyes : Le palais des sports d'Atlantic City contient à peine la foule venue assister au match du siècle, où s'affrontent deux poids lourds de la boxe. Soudain des coups de feu éclatent à proximité du ring et le secrétaire d'État à la Defense s'effondre, mortellement blessé. L'enquête commence sous la direction de l'inspecteur Rick Santoro, policier corrompu. Rick va s'efforcer de sauver sa réputation ainsi que celle de son ami Kevin Dunne, chargé de la sécurité du secrétaire d'Etat, et qui s'était malencontreusement absenté au moment du drame...

Snake Eyes est diffusé ce soir à 20h40 sur TCM.