The Substance
Universal Pictures / Working Title Films

La française Coralie Fargeat signe un film de body horror jusqu'au-boutiste et ultra-référencé qui dynamite tout sur son passage. A commencer par ses deux stars : Demi Moore et Margaret Qualley. Jouissif.

Depuis que Julia Ducournau a prié un soir de Palme d’or (Titane, mai 2021) de « laisser rentrer les monstres », les pontes du Festival de Cannes ont ouvert les portes de la bergerie. Voici donc The Substance de Coralie Fargeat, un film gore qui en d’autres temps aurait pu atterrir sagement en séance de Minuit devant un parterre acquis à la cause du « genre ». En compétition, le deuxième long de la cinéaste est offert à un public plus large, que l’hémoglobine ne fait pas forcément marrer. Placé à mi-parcours du festival, à l’heure où les paupières pèsent un âne mort, The substance avait donc pour mission de raviver les esprits. De les échauffer,  même. Le très vivant Emila Perez de Jacques Audiard avait bien amorcé la pompe la veille. Et on notera, amusé, que c’est d’un cinéma français expatrié – le Mexique pour Audiard, les U.S pour Fargeat – que provient le nouvel élan. Les deux films n'ont pas grand chose à voir mais auscultent, chacun à leur manière, la transformation des corps pour mieux faire sauter les points de sutures d’un encombrant réalisme.      

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Sirènes hollywoodiennes

Jusqu’ici on connaissait Coralie Fargeat pour Revenge (2018). Un premier long qui suivait une jeune femme se faire violer par des salauds en rut avant d’être empalée sur un piquet au milieu de nulle part. Dans un geste de survie magnifique, l'infortunée parvenait à s’extraire de son inconfortable posture et entamait une vengeance qui faisait passer Rambo pour un patineur artistique.

Succès d’estime, sirènes hollywoodiennes : voici donc The Substance. Les corps y sont de nouveau meurtris, et dans tous les sens. On suit une « quinqua » (Demi Moore), ex-star de cinéma devenue vedette d’un show d’aérobic télévisuel (tout ça est raconté en un seul plan absolument génial !). Le producteur du programme (Dennis Quaid en surchauffe totale) décide de la virer du jour en lendemain pour caster une femme beaucoup plus jeune. La paria reçoit dans le même temps une proposition louche qui ne se refuse pas : s'injecter une étrange substance qui va lui permettre de générer une sorte de double, une version améliorée d'elle-même, jeune et jolie, avec sa propre personnalité. Comme dans n'importe quel conte, il y a une condition : tous les sept jours, elle devra reprendre possession de son ancien corps pour éviter une dégradation irréversible de son apparence.

On sait comment finissent les pactes faustiens. Très mal, en général.

Défi purement organique

Les deux êtres ainsi dédoublés (Margaret Qualley, abonnée aux étrangetés après sa triple partition dans Kinds of Kindness de Yorgos Lanthimos, et Moore démente) se livrent très vite une guerre à distance. Filmée au sein d'une Los Angeles à peine dystopique, volontairement aseptisée et quasi dépeuplée, l’héroïne avance dans un monde tout en baies vitrées, écrans plats, décors rose bonbon et couloirs kubrickiens interminables. Son ego malade remplit le cadre d’une tension de plus en plus énervée et sourde.

La bonne idée est de raconter cette guerre d’un seul et même personnage, soudain dédoublé. L’un puis l’autre, l’une contre l’autre. Ce clivage psychologique et physique permet au récit de dépasser sa simple visée politique (la rengaine usée jusqu’à l’os d’une société du spectacle et ses mirages, le féminisme triomphant...) pour se confronter à un défi purement organique de la représentation cinématographique. La jouissance ressentie vient principalement de là.

Coralie Fargeat appuie sur toutes les touches d’un bestiaire cinéphile identifié (au choix : Cronenberg, Carpenter, de Palma, Peter Jackson première manière...), pour les greffer à sa propre vision d’auteure. Une vision qui l’emmène très loin, jusqu’au bout d’une route sans retour. Sa mise en scène d’emblée omnisciente pose un regard tout puissant sur un réel dépourvu de hors-champ. Telle cette magnifique séquence d’ouverture où l’aura d’une star bientôt déchue se lit sur la surface fragile de son étoile sur le Walk of Fame de Los Angeles, Coralie Fargeat filme une lente et inéluctable dégradation d’une image prisonnière d’elle-même. Dès lors, le corps étranger peut prendre tout l'espace et le dévorer de l'intérieur.         

The Substance. De Coralie Fargeat. Avec : Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid.... Durée : 2h20 Sortie indéterminée.


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