Adèle Haenel
ABACA

Lesbienne et féministe, politisée et engagée, l’actrice explique dans une lettre ouverte publiée par Télérama pourquoi elle a mis un terme à sa carrière.

En 2020, lors de la 45ème cérémonie des César, Adèle Haenel fait un geste dont les répercussions sans précédent vont jusqu’à entrainer un débat public : elle se lève, elle se barre, et cri « La honte ! » lorsque le César de la meilleure réalisation revient à Roman Polanski, accusé de viol par six femmes. « Ce fut une flèche en plein cœur. Ça nous a toutes galvanisées. Ce soir-là, elle a mis le feu aux poudres et du baume sur nos cœurs. », a déclaré l’autrice et activiste féministe Anna Toumazoff pour l’enquête de Télérama sur le parcours d’Adèle Haenel.

Depuis, elle est absente des tournages, des cérémonies, de l’industrie toute entière. Car ce n’est plus dans la salle Pleyel que la voix d’Adèle Haenel se fait entendre, mais bien dans la rue. Elle se montre aujourd’hui comme une femme au cœur des mouvements sociaux : elle a soutenu en 2022 la candidature à l’élection présidentielle du cheminot trotskiste Anasse Kazib, a participé le 6 mars à une manifestation féministe et anticapitaliste nocturne, était en tête de la grève de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher le 24 mars dernier, et a participé aux réunions du Réseau pour la grève générale. Et Adèle Haenel est connue pour son implication politique, jusque dans sa carrière professionnelle. Elle fait son coming out sur la scène des César en 2014, dénonce en 2019 le harcèlement sexuel et les attouchements du réalisateur Christophe Ruggia alors qu’elle était mineure, et se fait entendre sur les plateaux de tournage en remettant en question certains choix des réalisateurs.

« Elle tient tête parce qu’elle veut comprendre ce qu’elle fait, pourquoi on lui demande ci, pourquoi elle est habillée comme ça. Il y a sûrement des gens que ça peut irriter, moi je trouve ça légitime, » explique le réalisateur de 120 Battements par minute Robin Campillo à Télérama.

Dans cette démarche, et dans un refus de jouer des rôles qu’elle trouve problématiques, elle fait réécrire ses personnages — celui dans Le Daim de Quentin Dupieux — ou quitte certains projets — L’Empire, de Bruno Dumont. Adèle Haenel n’est aujourd'hui pas blacklistée, mais « ne se voyait pas continuer à faire ce métier dans ces conditions-là, ça demandait trop de renoncements », confie son ancienne agente Elizabeth Simpson.

Adèle Haenel
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C’est finalement dans une lettre à Télérama en réponse à leur enquête, qu’elle a décidé de prendre la parole. Elle y réitère sa phrase choc — « Je le redis : la HONTE » — et explique son choix de stopper net sa carrière d’actrice :

« J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est. »

L’actrice accuse l’industrie du cinéma, dans une société décadente qui s’effondre de toute part, d’invisibiliser les réels combats et de ne pas se prononcer sur les enjeux qui comptent. Ceux qui font rugir la France.

« La grande industrie produit à dose homéopathique des films sur les pauvres héroïques et des femmes exceptionnelles, histoire de capitaliser toujours davantage sur notre dos sans donner aucune force à notre mouvement. »

Elle y dénonce le système capitaliste et son ordre bourgeois composé d’« ultrariches lobotomisés », pour y invoquer la marginalité et la résistance. Surtout, elle critique la culture de l’impunité dans le domaine du cinéma :

« Mais elles et eux toustes ensemble pendant ce temps se donnent la main pour sauver la face des Depardieu, des Polanski, des Boutonnat. Ça les incommode, ça les dérange que les victimes fassent trop de bruit, ils préféraient qu’on continue à disparaître et crever en silence. […] Je vous annule de mon monde. Je pars, je me mets en grève. »

En opposition à un monde du cinéma indigeste qu’elle ne parvient plus à regarder dans les yeux, Adèle collabore depuis 2019 avec Gisèle Vienne, à mi-chemin entre théâtre et composition chorégraphique. Quant à son parcours, Noémie Merlant, sa partenaire dans Portrait de la jeune fille en feu a confié à Télérama : « Tout ce qu’elle a fait, elle ne l’a pas fait pour elle mais en pensant aux autres, aux jeunes actrices après elle. Je suis très admirative de son chemin, que personnellement je n’arrive pas à prendre. »