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Et si c'était le film ultime de l'ère Obama?

Arte consacre sa soirée à la représentation des noirs américains au cinéma : à 21h, place à Moonlight, le drame de Barry Jenkins qui a reçu l'Oscar du meilleur film en 2017, puis la chaîne proposera un documentaire inédite intitulé Naissance d'un héros noir au cinéma : Sweet Sweetback, déjà visible sur Arte.TV. Pour patienter, nous repartageons notre article sur la victoire de Moonlight aux Oscars, initialement publié le lendemain de la cérémonie, le 27 février 2017.

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La compétition entre La La Land et Moonlight pour l’Oscar du meilleur film se sera donc jouée jusqu’à la dernière minute. Et même après la dernière minute, le cafouillage de la mauvaise enveloppe ayant fait se succéder les deux équipes sur scène à quelques secondes d’intervalle. Et si, au-delà du gros fail, on prenait plutôt ça pour un beau symbole de passage de témoin générationnel ? Damien Chazelle (32 ans, 3 films au compteur) et Barry Jenkins (37 ans, 2 longs-métrages à son actif), tous les deux vainqueurs d’une cérémonie où n’était nommé presque aucun vétéran (ni Scorsese ni Eastwood), incarnant une nouvelle génération de réalisateurs successfull et conquérants. Soit un nouveau Nouvel Hollywood, couronné sous les yeux de l’ancien « Nouvel Hollywood » (Faye Dunaway et Warren Beatty, alias Bonnie and Clyde), qui s’interroge désormais sur sa myopie au moment de lire le nom des lauréats.


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#OscarsSoBlack ?

La jeunesse : voilà le vrai symbole qu’on a envie d’accoler à la victoire de Moonlight. Bien sûr, après une édition 2016 marquée par la polémique OscarsSoWhite (en résumé : que des films blancs nommés et récompensés, l’année de Creed et de N.W.A. - Straight Outta Compton), les éditorialistes de tout poil vont saluer dans le succès de ce film (l’histoire en trois temps et trois acteurs de l’éducation sentimentale d’un gamin du ghetto de Miami) la victoire d’un emblème black sur l’autre chouchou de la saison, La La Land, romance de babtou fragile où des trentenaires blancs jouent du jazz en fantasmant le bon vieux temps de Fred Astaire et Ginger Rogers (on caricature, hein, on adore La La Land à Première). Mais Moonlight dépasse le strict cadre de l’expérience noire, du questionnement sur la représentation des minorités (à ce compte-là, c’est autant un film gay qu’un film black) et s’envisage avant tout comme une pure expérience de cinéma sensorielle, planante, éthérée, qui lorgne du côté de Gus Van Sant, Wong Kar-Wai et Hou Hsiao-Hsien, et place l’esthétique cent coudées au-dessus de la politique.

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Post-racial

Bien sûr, politiquement, symboliquement, il y avait quelque chose de douloureux à voir Moonlight gagner in extremis, à l’arrachée, obligé de pousser l’équipe de La La Land hors de scène pour s’y faire une place. Un résumé fulgurant de la place des artistes noirs dans le cinéma américain ? Oui et non. La polémique OscarsSoWhite ne doit pas faire oublier que le cinéma des années Obama avait su faire de l’expérience noire américaine l’un de ses grands sujets (Lincoln, Django Unchained, Le Majordome, La Couleur des sentiments…) et que l’Académie n’y avait pas été totalement insensible (remember la victoire de 12 Years a Slave en 2014). Et si on considère que le cinéma fait toujours écho aux problématiques de son époque avec un léger décalage temporel, alors Moonlight, film éminemment post-racial, pourrait bien en réalité être le vrai grand film de l’ère Obama. Celui qui imagine le monde d'après. La La Land, et son parfum d’âge d’or, est un film de crise, un refuge anti-Trump, exactement le genre de musical merveilleux que le public allait voir dans les années 30 pour oublier l’orage qui grondait à l’extérieur. Moonlight, lui, n’oublie rien du passé mais entend surtout tracer une voie pour le futur. Que ce film-symbole des années Obama ait été récompensé sous Donald Trump est d’ailleurs en soi une excellente raison de garder espoir.


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