The Fabelmans, de Steven Spielberg
Universal

Aux Etats-Unis, le dernier film du cinéaste a fait un flop, et sa sortie prématurée en location révolutionne à sa manière le box-office.

"Steven Spielberg en a-t-il fini avec le box-office ?" Première se posait la question fin novembre en découvrant les faibles scores de The Fabelmans aux Etats-Unis, alors que le cinéaste a connu d'énormes succès par le passé : Jurassic Park a franchi le milliard de dollars de recettes dans le monde dans les années 1990, E.T. les 800 millions une décennie plus tôt, La Guerre des Mondes les 600 millions en 2005... IndieWire s'interroge aussi sur les scores étonnants de ce film autobiographique à l'heure où il arrive déjà en VOD aux USA, mais en le formulant autrement : "Comme Les Dents de la mer avant lui, The Fabelmans, de Spielberg, pourrait réécrire l'histoire du box-office." En 1975, la sortie de ce film de requin avait effectivement chamboulé pour plusieurs décennies la façon de comptabiliser les recettes et de définir les succès, en gagnant plus de 470 millions de dollars dans le monde, dont plus de la moitié rien qu'en domestique, alors qu'il n'avait coûté officiellement que 7 millions de dollars à Universal. Il est depuis considéré comme le premier blockbuster estival de l'histoire, la première production hollywoodienne de l'été à avoir autant fait déplacer les spectateurs en salles grâce à son concept innovant et sa promotion intrigante.

Les Dents de la mer : Quand Spielberg pestait en direct contre les nominations aux Oscars 1976

Avec The Fabelmans, c'est l'inverse : on aurait pu penser que le nouveau Spielberg allait cartonner en le voyant gagner le Prix du Public au festival de Toronto, un trophée qui annonce d'ordinaire les futurs gagnants des Oscars (cela ne se vérifie pas à chaque fois, mais c'est tout de même un bon baromètre des succès à venir). Sauf qu'il n'a été proposé que dans 600 salles aux Etats-Unis depuis le week-end de Thanksgiving, pourtant férié et d'habitude considéré comme une période faste pour les studios hollywoodiens. La promotion mise en place par Universal était minime : une affiche, une bande-annonce, quelques teasers... Malgré la popularité du cinéaste et l'aspect autobiographique de ce projet (Spielberg y raconte sa jeunesse, notamment le moment où il est tombé amoureux du cinéma, alors que ses parents, joués par Michelle Williams et Paul Dano, étaient en train de se séparer), sa sortie est passée quasiment inaperçue. Et ce alors que ses critiques étaient globalement positives. C'est d'autant plus frappant qu'il y a tout juste un an, sa nouvelle version de West Side Story enregistrait déjà des scores décevants au box-office : 76 millions de dollars dans le monde seulement, tout en recevant des avis dithyrambiques.

The Fabelmans risque d'ailleurs d'en enregistrer encore moins : aux Etats-Unis, il n'a gagné que 6 millions de dollars en un mois, et il sera visible dès aujourd'hui en PVOD. Proposer le film en location quinze jours avant Noël permettra-t-il au studio de limiter la casse ? Voire de devenir un succès ? Ces faibles résultats en salles s'expliquent en partie par le fait que depuis l'épidémie de Covid, le public âgé se rend moins au cinéma, alors qu'il était clairement visé ici : avec The Fabelmans, Spielberg joue à fond la carte de la nostalgie. Avoir la possibilité de le louer très rapidement et de le visionner tranquillement dans son salon lui fera-t-il toucher ce public ?
Début novembre, Steven Spielberg avait critiqué ce genre de stratégie de sortie, mi-cinéma/mi-streaming, en visant plus particulièrement celle mise en place par la Warner Bros, qui profite d'une réduction de la fenêtre de diffusion aux USA pour proposer ses films très vite sur HBO Max, même en cas de recettes importantes sur grand écran. Il évoquait alors spécifiquement le cas des spectateurs seniors : "La pandémie a créé une opportunité pour les plateformes de streaming d'augmenter leurs abonnements à des niveaux records, mais cela a aussi sacrifié, balancé sous le bus, une grande partie de mes amis réalisateurs, car leurs films n'ont pas pu se voir offrir de sortie au cinéma, et cela a été fait sans cérémonie. Une fois payés, leurs films pouvaient être relégués sur HBO Max, dans l'exemple auquel je pense (qu'il ne citera pas). A partir de ce moment-là, tout a commencé à changer. (...) Je pense que le public plus âgé était soulagé de ne pas avoir à marcher sur du popcorn collant. Mais je crois aussi que ce même public plus âgé, une fois installé au cinéma, ressent cette magie de vivre un événement social avec une poignée d'étrangers. C'est une sensation tonique, et c'est aux films d'être assez bons pour donner envie aux spectateurs d'en parler une fois que les lumières se rallument."

 

The Fabelmans, de Steven Spielberg
Universal

 

Depuis quelques années, Steven Spielberg semble privilégier les projets qui lui tiennent à coeur plutôt que ceux qui pourraient faire un carton au box-office, à l'exception de Ready Player One (2018), son dernier véritable blockbuster. Il a par exemple laissé sa place de réalisateur à James Mangold sur Indiana Jones 5, alors que cette suite a des chances de faire un carton à l'été 2023, pour se plonger dans The Fabelmans, qu'il rêvait de tourner depuis plusieurs décennies. Puis il enchaînera avec un film sur la fabrication de Bullitt. Mais la question des flops des plus petites productions, même réalisées par des cinéastes de renom, va bien au-delà du cas de Spielberg en ce moment. IndieWire cite ainsi les exemples de City of Light, de Sam Mendes, qui vient de démarrer très faiblement en "limited release" ou des Banshees d'Inisherin, de Martin McDonagh, qui a gagné seulement 8,5 millions de dollars aux Etats-Unis, alors que le réalisateur avait triomphé aux Oscars grâce à son précédent film, 3 Billboards, les panneaux de la vengeance, et qu'il semble une nouvelle fois bien parti pour cette saison des prix (ce nouveau projet avec Colin Farrell et Brendan Gleeson, son duo phare de Bons baisers de Bruges, part favori aux Golden Globes). Autre exemple encore plus flagrant : Armageddon Time, une histoire autobiographique, là aussi, signée James Gray (La Nuit nous appartient, Ad Astra), a gagné moins de 2 millions de dollars aux Etats-Unis.

Alors, les drames intimes sont-ils voués à être à présent surtout diffusés en VOD ? C'est cette question que pose dans le fond le flop au box-office de The Fabelmans, qui risque d'être un succès en location, à défaut d'avoir fait déplacer le public au cinéma. Ses scores à domicile seront sans aucun doute suivis de près dans les semaines qui viennent...

En France, le film sortira sur grand écran le 22 février 2023. Voici sa bande-annonce :