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« Après tous les événements récents, j'espère que les exploitants vont se montrer curieux ; prendre un risque, je ne sais pas... » Marielle Duigou, co-productrice (avec Philippe Lioret) d’Un Français, le film de Diastème qui fait « peur », pointe du doigt les propriétaires de salles. Malgré le communiqué de Mars Films destiné à calmer le jeu, malgré le deuxième billet de Diastème qui reconnaît l’exagération de ses propos et tient à saluer les exploitants (« le respect pour les programmateurs (…) je l’ai en moi depuis quinze ans »), tous les regards se tournent vers eux.>>> Un Français fait peur aux exploitantsSouvent qualifiés de frileux, suspectés parfois de nettoyer leur programmation des films risqués (films de genre censés attirer un public peu recommandable, films fragiles au succès financier très hypothétique…), les exploitants ont beaucoup de pouvoir dans le système et, de ce fait, beaucoup de détracteurs. Dans son communiqué, qui commence par rendre compte d’une « spectaculaire campagne de haine » qui est évidemment à rapprocher de la « prudence » des exploitants, Mars dénonce et salue la profession d’un même geste : oui, c’est quand même un peu de leur faute si le nombre de salles à été revu à la baisse, ils sont « prudents » (« peureux » ?), mais ils ont des raisons de l’être (le fameux « climat » créé par les fachos des réseaux). Et on remercie ceux qui décideront quand même de programmer Un Français car ils effectueront ainsi un « acte militant fort » en diffusant un « film nécessaire dans toute son authenticité ». Un brin culpabilisant pour ceux qui décident de ne pas le mettre à l’affiche.La haineMais de quoi parle-t-on, exactement ? D’un film qui retrace le parcours, sur plusieurs décennies, d’un skinhead qui se détache progressivement de sa haine et s’éloigne de l’ultranationalisme. La mise en ligne de la bande annonce d’Un Français le 27 avril dernier a agi comme un coup de pied dans la fourmillante « fachosphère ». Sur le site Fdesouche, plus de 300 commentaires qui dénoncent un racisme anti-blanc ou un film de propagande gauchiste, dont on retrouve l’équivalent sur la page YouTube de Mars Films. L’agitateur Alain Soral l’a publiée sur son site Egalité & Réconciliation et relayée sur sa page Facebook, avec comme principale analyse l’idée que les Français ont financé malgré eux (à travers les subventions du CNC et des chaînes publiques) un film qui les insulte : « avec ses impôts, le bon peuple aura une fois de plus craché au bassinet pour se faire insulter ». Et de dégénérer en délire antisémite (« en attendant que l’avance sur recette ne finance un film, sobrement intitulé Un Juif, traitant de l’assassinat de Saïd Bouararach par des sympathisants de la LDJ… »).Voici donc la « spectaculaire campagne de haine » qu’évoque Mars Films pour justifier la restriction du nombre de salles et évoquer la « peur » des exploitants. Ce qui laisse rêveur quant au pouvoir qu’on veut bien donner aux éternels mêmes énervés haineux qui s’agitent sur les réseaux.>>> Un Français : le distributeur répondCette peur, les exploitants ne l’assument pas – ils refusent pourtant systématiquement d’être cités nommément pour ne pas être stigmatisés. Ils assument en revanche leur frilosité. Nous avons joint plusieurs des propriétaires de salles ayant accepté le film et ils avancent que si certains ne le prennent pas, ce n’est pas tant par peur du fameux « climat » que par « un manque de croyance dans le potentiel commercial du film ». Une peur qui ne serait donc pas celle que l’on croit. « On soutient les exploitants affirme Marielle Duigou, on ne veut pas leur taper dessus évidemment, on leur demande juste d’être curieux ». Etre curieux certes, mais absolument désintéressés ? Eux aussi, surtout du côté des indépendants, subissent la crise et tentent d’adapter leur programmation à leur environnement social et géographique. On ne peut s’empêcher de rapprocher le cas d’Un Français à celui de Made in France, le thriller de Nicolas Boukhrief sur la montée en puissance d’une cellule de djihadistes français et leur préparation d’un attentat au cœur de Paris. Inspiré par l’affaire Mehra, le film était prêt début 2015 mais la tuerie de Charlie Hebdo a refroidi le distributeur SND qui a jugé le sujet trop sensible pour considérer une sortie en salles. Aux avant-dernières nouvelles, une sortie était de nouveau envisagée grâce à Pretty Pictures qui a repris le flambeau. Mais l’affaire Diastème pourrait encore influer sur l’avenir du film de Boukhrief.Calcul marketing ?Même si la comparaison a ses limites – Diastème parle de l’extrême droite, Boukhrief du Djihad ; le distributeur du premier le soutient, le second s’est fait lâcher –, on peut imaginer que les craintes sont les mêmes : des sujets trop sensibles pour toutes les parties en présence. La productrice d’Un Français nous confirmait que « Mars a proposé le film auprès de 50 exploitants pour des avant-premières » et que « seuls 8 ont répondu favorablement ». Et nous apprend qu’« habituellement, environ 80% des demandes  d’avant-premières sont remplies ». Pourquoi un si mauvais ratio pour le film de Diastème ? Un propriétaire de salles se justifie non pas par un phénomène de peur ou de rejet mais simplement parce que Mars aurait « envoyé la demande trop tard pour organiser l’événement ». Le distributeur aurait-il tout bêtement bâclé son plan com et trouverait-il dans cette polémique un moyen de se rattraper ? « On n’est pas du tout calculateur vous pensez bien, répond Marielle Duigou. Mais j’espère que ça va attiser la curiosité des gens ». De fait, depuis la publication du billet de Diastème, Un Français réussit un genre de hold-up médiatique. Relayé sur la plupart des médias digitaux, invité de dernière minute du Grand Journal, le cinéaste a bénéficié d’une belle tribune. Et tant mieux. Son film sortira le 10 juin face à Jurassic World et il aura besoin de tous les relais pour exister. « Qui peut aujourd’hui prévoir à l’avance le succès d’un film ? s’interroge la productrice. Il est nécessaire de maintenir une pluralité dans l’offre et de ne pas écarter d’office des films à cause de leur sujet avant qu’ils puissent arriver jusqu’aux spectateurs ». Et à Première, on pense en effet qu’Un Français mérite d’arriver jusqu’aux spectateurs, d’autant plus qu’il s’agit d’un film risqué. Par son contexte politique : les liens entre les skinheads et le Front national, qui n’a jamais été aussi puissant en France qu’aujourd’hui. Mais aussi par ses partis pris antidramatiques – la méchanceté est plus cinégénique que la vertu – et antipédagogiques – il n’a aucune leçon à donner. Diastème surmonte avec confiance les difficultés pour donner un film juste, fort et actuel qui ne manquera pas, en effet, de susciter des discussions (et tant mieux), voire de l’hostilité (mais tant pis).« Que les gens voient mon film, simplement, et après on en parle » écrivait hier Diastème.Encore faut-il que les gens puissent effectivement le voir.Vanina Arrighi de Casanova (avec Gérard Delorme)Un Français de Diastème avec Alban Lenoir, Samuel Jouy, Paul Hamy sort en salles le 10 juin.